Petrus CHRISTUS

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Le Christ est la Pierre Philosophale des alchimistes, et réciproquement.
La réalisation du Grand Œuvre était considérée et vécue par les alchimistes chrétiens comme la Passion du Christ, sa mise au tombeau et sa résurrection.
Chaque fois qu'il signe ses œuvres de son nom (qui sent le "fabriqué") Petrus Christus se dit « pierre du Christ » et écrit cette phrase : « le Christ est la Pierre Philosophale ».

« La pierre philosophale n’a cessé d’être considérée comme étant l’enfant divin né de l’art alchimique, conformément à l’image du processus de mort et de résurrection. La nigredo, la noirceur, est constamment comparée à l’état de mort pendant lequel le cadavre se décompose dans la tombe ; l’albedo est le moment où l’on se débarrasse  par lavage de cette mort et de la puanteur de la tombe. Enfin naît l’enfant, qui est l’enfant Mercure, l’enfant divin ou la pierre philosophale, et qui est en même temps, simplement la philosophie alchimique renouvelée. »
Marie-Louise von Franz, Les mythes de création, Fontaine de Pierre, 2004, p. 274.

 

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1er exemple

 

La Dormition de la Vierge
Timken Museum of Art - San Diego

Ce tableau peint entre 1457 et 1467 représente un épisode qui n'est pas évoqué dans le Nouveau Testament (où l'existence de la mère de Jésus n'est signalée que quatre fois seulement). Cette croyance en la mort et l'assomption de la Vierge ne repose sur aucune base scripturaire. Elle est fondée sur des écrits apocryphes, comme celui du Pseudo-Jean, Sur la mort de Marie (4ème ou 5ème siècle) ou La Légende dorée (Legenda aurea) de Jacques de Voragine rédigée en latin entre 1261 et 1266.

http://fr.wikipedia.org/wiki/L%C3%A9gende_dor%C3%A9e

Le mot dormition (en grec kimisis) est utilisé, dans le vocabulaire chrétien pour désigner la mort non violente des saints et des fidèles pieux. http://fr.wikipedia.org/wiki/Dormition

Dans la Bible, des personnages meurent et ressuscitent : Lazare, la belle-mère de Simon Pierre, la fille de Jaïre, le Christ, mais pas la Vierge.

 

1- Plusieurs scènes peintes dans ce tableau : la Dormition, l'Assomption et l'épisode de la ceinture

 

 

 

 

 

1- la Vierge allongée sur son lit avec 5 Apôtres à sa gauche.

2- au-dessus, la Vierge 'miniaturisée' que des anges conduisent au Ciel auprès de son Fils descendu la chercher.

3- à la fenêtre, un homme regarde en tournant le dos à la scène, fait curieux.

4- à droite, dehors, au milieu du chemin, saint Thomas, qui ne croit que ce qu'il voit, reçoit tombant du Ciel, la ceinture de la Vierge.
http://fr.wikipedia.org/wiki/Santa_Cintola

5- au-dessous, sur le seuil de la chambre, un homme s'apprête à entrer.

6- devant lui, jambes écartées pour une assise assurée, tout de blanc habillé, un homme est déjà entré, portant le goupillon et le seau contenant l'eau bénite pour bénir la Vierge ou chacun des participants : saint Pierre assurément.

7- devant lui, un homme de noir vêtu lui tourne le dos et tient un encensoir.

8- quasi au centre du tableau, un homme assis vêtu de vert, la jambe gauche dénudé, tient un livre ouvert sur sa cuisse gauche.

9- à l'extrême gauche, en bas, un homme dort à demi allongé, fait curieux.

10- à l'extrême droite, en bas, un livre fermé est posé sur un siège, un signet marquant une page.

 

 

2- Que comprendre de l'enchevêtrement, de la coexistence de ces diverses attitudes ?

Peut-on interpréter le tableau comme une critique cachée de l'Eglise catholique d'alors ?

 

En réalité, deux scènes sont juxtaposées :


Scène 1 : la Dormition de la Vierge que l'Eglise veut imposer. Appartiennent à cet épisode 1 - 2 et 4

Scène 2 : l'initiation hermétique dont les diverses étapes sont évoquées en 3 - 5 - 6 - 7 - 8 - 9 et 10

 

Explications :



Scène 1 - la Dormition de la Vierge

 

 

 

 

1- la Vierge allongée, yeux clos. Morte, mais déjà ressuscitée rajeunie et miniaturisée (pour évoquer l'âme) ! Les trois têtes sont alignées : celles des deux Vierges et celle du Christ, en une séquence déterminée par le nombre d'or. Son habit semble une longue écharpe que limite la tête de l'homme au centre du tableau.

2- Cinq Apôtres aux têtes bien alignées horizontalement (malignement, Petrus Christus a bien dessiné 12 hommes, nombre d'Apôtres qui auraient assisté à la scène), aux paupières baissées à demi pour quatre d'entre eux, comme en prière, visage serein. Mais pourquoi le premier tend-il le cou comme s'il ne voyait pas vraiment bien ? Pourquoi le second feuillette-t-il un livre (la Bible ?) comme pour y chercher le récit de l'événement qu'il vit actuellement ?

Le quatrième pose un cierge (le long duquel se voit une hostie) dans les mains de la Vierge, mais comme ce cierge paraît petit et peu lumineux par rapport à la blancheur de l'homme dressé à droite, 'lumière' qui vient de franchir le seuil du lieu ! Et que signifie (car tout geste des mains signifie) le geste des deux mains du cinquième personnage ? Veut-il dire aux incrédules : " voyez, c'est bien la Vierge ! c'est bien sa dormition ! même si ce n'est pas écrit dans le texte sacré ! vous pouvez y croire ! "

4- Les objets nécessaires à l'extrême-onction sont convoqués ici : l'eau bénite, l'encensoir, le cierge, les écritures saintes, l'hostie.

5- Quant à saint Thomas, éternel incrédule, il reçoit la ceinture de la Vierge qu'un ange lui abandonne. Il est sur le chemin qui sinue derrière lui dans un paysage de collines, il vient de loin mais il lui reste à traverser la rivière devant lui avant de monter les marches qui mène à a chambre mariale. Il est à noter qu'il ne possède pas d'ombre au sol, n'étant pas encore 'illuminé'.

 

 

 


Scène 2 : l'initiation hermétique

 

 

 

3- Cet homme qui regarde à la fenêtre (dans la même verticale que l'encensoir) en semblant se désintéresser de la dormition et de l'envol sacré est-il à considérer comme un deuxième comportement d'incrédulité possible : se tourner chaque matin vers la lumière blanche de l'aube (la couleur du ciel à travers la baie), vers l'Est d'où vient la Sagesse (ainsi que l'orfèvre du tableau Saint Eloi), pour y chercher la voie, sa voie vers la 'Lumière' intérieure, sans avoir à passer par le Texte sacré ? "The pale blue sky" selon Joel M. UPTON. Il porte une écharpe sur l'épaule gauche (que l'homme au centre porte aussi, sur l'épaule droite), bandeau devenu inutile pour des yeux dessillés.
Intelligence narquoise de l'artiste qui place ces deux hommes dans la lumière du jour, l'un à l'intérieur, l'autre à l'extérieur, l'un attaché à la lumière intérieure, l'autre aux objets bien concrets.

5- Cet homme qui s'apprête à entrer, est-il un pèlerin en quête de la Lumière, l'alchimiste en quête de l'Or Philosophal qui n'est pas le métal brillant mais la Lumière ? La pointe de son pied n'est pas visible, cachée par une marche à gravir, première étape de l'initiation, l'entrée dans le Temple que le porche voûté représente.

6- L'homme tout de blanc habillé, armé du goupillon et du seau contenant l'eau bénite, c'est saint Pierre, mais c'est aussi l'artiste, Petrus (la pierre) Christus (du Christ). Son arrivée ne paraît-elle pas plus importante que la dormition de la Vierge ? Comme sa luminosité écrase la noirceur des autres participants : ne serait-ce pas parce qu'il 'symbolise' le sujet du tableau ?
Et quel regard étrange ! Que signifient ses yeux si largement ouverts ? Ne sont-ce pas ceux de l'orfèvre du tableau saint-Eloi ? Auraient-ils entrevu, voire vu la Lumière, après être passé sous l'arche du Temple ? Blanc comme un nouveau né ? Est-ce le second temps de l'initiation quand la Materia Prima du noir passe au blanc, de la nigredo à l'albedo ? D'où peut-être les jambes largement écartées qui assurent domination et assise solide au sol.

7- Et devant lui, cet homme qui lui ressemble en est-il à la troisième étape de l'initiation, de la quête alchimique, quand dans l'athanor le blanc devient repasse par le noir avant d'atteindre le viridias, le vert, une phase qui ne fut jamais totalement admise par l'ensemble des alchimistes ? Il baisse les yeux, il est sur la vie mais encore dans les ténèbres. Sa main gauche semble indiquer l'étape suivante. Quelle explication ésotérique donner à l'encensoir qu'il porte ?

http://fr.wikipedia.org/wiki/Encensoir

 

 

8- C'est homme assis au centre du tableau, le regard levé, comme il ressemble au changeur du tableau Saint-Eloi du même Petrus Christus où il s'est également représenté ! Le livre qu'il tient ouvert sur sa cuisse gauche, le pouce posé sur une page, une ligne bien précise, est-ce la Bible, à la Première Epître de Jean où il est proclamé que la Lumière s'oppose aux ténèbres : " La nouvelle que nous avons apprise de lui, et que nous vous annonçons, c'est que Dieu est lumière, et qu'il n'y a point en lui de ténèbres (1-5). " La robe de la Vierge s'arrêtant à son visage prolonge l'écharpe qui se serait retirée de devant ses yeux, jusqu'alors fermés à la Vérité lumineuse, non ? Ces trois hommes qui n'en sont qu'un à trois étapes différentes d'une quête (ainsi que l'homme à la fenêtre) laissent une ombre sur le sol, 'éclairés' qu'ils sont devenus. La couleur verte de son habit et sa jambe droite dénudée qui peut ainsi prendre contact avec le sol évoquent l'étape à laquelle il est parvenu. Sa main droite désigne le cinquième homme qui conclut la ligne oblique qui les réunit.

Joel M. UPTON (Petrus Christus, The Pennsylvania State University, 1990) dit de lui, page 72 : "the seated apostle with an open book and outstretched hand in the foreground doubles as a sort of dramatic interlocutor with the beholder, very much in the manner of the figure of saint Eloy in he Metropolitan panel. — l'apôtre au premier plan, assis avec un livre ouvert et une main tendue , interlocuteur dramatique avec le spectateur, ressemble infiniment au saint Eloi du tableau du MET."

Ajoutons-y les deux Nicodème des deux Lamentations.

 

 

 


Est exposée aux Cloisters de New York une Dormition en bois sculpté venant de Cologne et datant de la fin du 15ème siècle ; un des apôtres est face aux spectateurs, tournant donc le dos à la Vierge et aux autres apôtres, un livre ouvert sur les genoux, la main droite protégeant ses yeux comme d'une forte lumière. Une opposition aux dogmes catholiques est-elle évoquée dans cette attitude de refus et d'exposition à la lumière ? Ou bien tout simplement essuie-t-il ses yeux en pleurs…

L'image ne montre pas en haut à droite saint Thomas recevant la ceinture apportée par un ange. Cette scène sculptée ressemble étrangement à celle peinte par Petrus Christus


9- Quant à cet homme qui à l'extrême gauche, en bas, dort à demi allongé, il pourrait représenter l'idée hermétique selon laquelle il faut 'mourir' pour re-naître. Mircea Eliade, Bruno Etienne et d'autres ne disent pas autre chose quand ils parlent 'd'initiation', quelle que soit l'époque et la contrée.

10- Ce livre sur ce siège (à trois pieds ? s'il s'agit de représenter a Trinité chrétienne) qui le reçoit et le soutient fermement (vérité bien assise !) pourrait bien être la Bible en son Nouveau Testament, marqué en son cœur par le signet enroulé sur lui-même qui s'en échappe : la voie vers la Lumière est sinueuse, difficile (ainsi que celle suivie par le pèlerin représentée par un sentier sinueux à parcourir et une rivière à traverser, ultime étape de purification avant l'entrée ans le temple et la réception de la Lumière, l'accomplissement du Grand Œuvre). Les deux livres du tableau sont aux extrémités d'une ligne passant par la tête de l'homme en vert situé au point que détermine peut-être le nombre d'or.

 

3- En conclusion

1- Si les Apôtres, c'est-à-dire l'Eglise catholique, vivent et marchent les yeux fermés dans les ténèbres, sans lire véritablement le texte sacré, la Bible, les Initiés cherchent et trouvent la vraie Lumière, surtout celle intérieure à laquelle mènent une lecture sereine et attentive du Nouveau Testament et une quête de tout instant. Ce serait donc une œuvre annonciatrice des revendications 'protestantes' qui se révèlent ici et des prêches véhéments que Savonarole lancera à Florence de 1494 à 1498 contre la corruption morale du clergé catholique, sans toutefois remettre en cause le dogme.
http://fr.wikipedia.org/wiki/J%C3%A9r%C3%B4me_Savonarole


2- Je suivrai sur quelques pages l'analyse de Paul PHILIPPOT extaites de son ouvrage La Peinture dans les anciens Pays-Bas - XVe-XVIe siècles, Flammarion, Champs Arts, 1994 et 1998, pp. 38-48 :

J'en souligne certains passages qui, je le pense, doublent nos remarques sur l'attitude des personnages dans les œuvres analysées ici de Petrus Christus. Ces attitudes, ces regards, peuvent être considérés comme l'expression d'une nouvelle religiosité.

Paul Philippot parle de " conscience artistique " qui " d'extravertie " est devenue " introvertie ". Ne s'agirait-il pas plutôt de " conscience religieuse ", de la manière de vivre sa foi et de lire les Textes sacrés ? " Ce reflux vers l'intériorité " est bien, comme le note Paul Philippot, " l'acquisition à la peinture de nouveaux aspects du monde extérieur, mais ces aspects sont choisis pour leur pouvoir de refléter la sensibilité nouvelle. " Mais la sensibilité théologique n'est-elle première par rapport à la sensibilité artistique ?

Pour reprendre le texte de l'auteur, n'est-ce que " la manifestation d'une tendance à centrer d'avantage l'unité de l'image, à l'axer progressivement, et presque sans le savoir, sur la personne. " L'expression " presque sans le savoir " est ambiguë car elle laisse penser que le peintre en tant qu'être humain dans son monde séculier ne maîtrise pas la composition de son tableau, de son œuvre, de ce qu'il a à dire sur la " dormition ", l' " assomption " et autres " légendes " chrétiennes.

Et il bien vrai que " le ressort se brise " quand s'affronteront les " réformés " et les " orthodoxes ".

 

" Intériorisation et articulation spatiale : Rogier van der Weyden, Petrus Christus, Dieric Bouts

Par-delà les traditions locales qu'ils fondent respectivement à Bruxelles ou Tournai et à Bruges, le Maître de Flémalle et Jan van Eyck jettent aussi les bases d'une polarité qui sous-tendra toute l'évolution ultérieure de la peinture flamande jusqu'à van der Goes et Memling. Mais très vite l'entrée en scène de Rogier van der Weden, puis de Petrus Christus et de Dieric Bouts, révèle en outre une progressive inversion de tendance vis-à-vis du schéma liturgique. Si celui-ci avait constitué pour les deux pionniers la matrice d'une véritable conquête du visible par l'image, il était inévitable que la réalisation même d'un tel objectif reporte le balancier vers l'intériorité subjective. D'extravertie, la conscience artistique se fait introvertie.

Désormais, elle recherchera moins un enrichissement ultérieur de l'objet visible qu'un approfondissement des articulations et des relations intimes qui unissent les figures et les choses au sein de l'image. Non que ce reflux vers l'intériorité, qui est en fait le pressentiment d'une intériorité plus personnelle, plus active, exclue nécessairement l'acquisition à la peinture de nouveaux aspects du monde extérieur, mais ces aspects sont choisis pour leur pouvoir de refléter la sensibilité nouvelle.

En fait d'ailleurs, cette accentuation des relations internes entre les figures et les choses comme entre l'image et le spectateur, n'est que la manifestation d'une tendance à centrer d'avantage l'unité de l'image, à l'axer progressivement, et presque sans le savoir, sur la personne.
En d'autres termes, la maturation même de la disposition liturgique prépare la genèse souterraine d'une attitude anthropocentrique au sein d'un monde spirituel qui, par ses propres prémisses, interdit d'autre part à la personne de constituer le centre effectif de la conscience, et donc de l'image.

Aussi sera-ce précisément la tension qui en résultera entre l'objectivité liturgique, dont le principe reste inébranlable, et ce mouvement d'introversion, qui fournira l'énergie vitale au nouveau développement caractérisé par une participation plus personnelle du sujet.
À cette situation, chacun des grands maîtres du siècle saura donner une réponse originale, jusqu'à ce que la tension devenant excessive entre les prémisses et la poussée cachée, le ressort se brise.

Le réseau de communications intimes que l'introversion tisse entre les figures et les choses pour surmonter leur pure coexistence immobile implique une perception de l'espace comme continuité sensible, comme milieu où les figures et les choses communiquent du dedans. Mais une telle unification interne devait inévitablement se heurter à l'objectivité médiévale du schéma liturgique. De la tension dialectique résultant de ce conflit naît alors le rythme nouveau de l'image qui, plus qu'une continuité effective, est aspiration à une continuité contenue ou refusée. (pp. 38-39)

 

Tandis que van der Weyden concevait à Bruxelles cette puissante synthèse qui devait rapidement faire de lui le plus influent des maîtres flamands de son siècle, Petrus Christus recueillait Bruges la succession de Jan van Eyck, mort en 1141. Né à Baerle en Flandre ou en Brabant, Christus est bourgeois de Bruges en 1444 et meurt dans cette ville en 1472 ou 1473.

Pour lui comme pour Rogier, il s'agissait avant tour de rénover, en y insufflant un principe de continuité dynamique, un art menacé de s'immobiliser dans l'objectivité de son réalisme. Mais alors que la pétrification flémallienne était chargée d'une tension qui ne demandait qu'à être libérée, la prédominance absolue accordée par l'art eyckien à la représentation picturale menaçait d'inhiber définitivement tout mouvement, la pure présence venant en quelque sorte arrêter le temps.

Partant, au contraire de Rogier, de cette prédominance eyckienne de l'espace où la figure était réduite à l'immobilité d'un état, Christus se trouve amené à chercher dans cet espace même, et plus précisément dans son articulation et sa géométrisation, le principe d'un mouvement qui débloque la situation. Tâche difficile, dont il semble ne pas avoir saisi lui-même toutes les implications, comme en témoigne un certain manque d'homogénéité de sa production, qui rend difficile l'interprétation de son évolution artistique.

 

Rogier, développant l'espace à partir de la corporéité des figures restait fidèle à l'approche frontale dictée par le relief frémallien. Il conservait aux corps leur structure parallèle au plan du tableau, et même un certain aspect de relief pris entre deux plans.
Christus qui ne peut s'appuyer sur un tel antécédent, remonte à l'origine même de l'insertion des corps dans l'espace pour en modifier radicalement la nature : à l'approche frontale du relief, il oppose ce qu'on pourrait appeler une vision oblique, qui enrichit l'enveloppement du volume par l'espace fortement unifié qui le baigne.

Les figures, quelle que soit par ailleurs leur position effective, se présentent comme de trois quarts : un trois quarts sans raccourci, puisqu'il naît du développement de l'espace-ambiance, et non de l'intersection d'une pyramide visuelle. De là le goût symptomatique de Christus pour les figures penchées en avant comme pour mieux plonger dans l'espace qui les entoure. Etendu à l'ensemble de la composition, ce principe engendre les groupements obliques et les enchaînements diagonaux par lesquels Christus cherche à lier les figures et les choses tout en accusant la profondeur.

D'où le besoin de placer à l'avant-plan des objets bas ou des figures assises ou agenouillées pour amorcer des obliques ascendantes qui s'enfoncent diagonalement dans le tableau.

Mais cette articulation de la profondeur étrangère au accourci a pour effet d'imposer à la composition et à la structure même des figures un ralenti caractéristique. L'inclinaison du sol accroît démesurément la profondeur des groupes d'avant-plan et des figures insérées diagonalement dans l'espace par le trois quarts. Les corps en reçoivent une profondeur oblique souvent excessive, qui les opacifie, en émousse les contours, et va jusqu'à menacer parfois leur équilibre, tandis que les personnages repoussés vers le fond se situent à une hauteur inattendue, et suggèrent un éloignement que contredisent leur taille et leur participation à l'action du premier plan.

La géométrisation des plans d'ombre et de lumière contribue elle aussi, par ses effets anguleux de pans ou de facettes, à articuler la profondeur, comme on le voit notamment dans le Saint Éloi de la collection Lehmann, ou dans la Nativité de Washington et l'Annonciation de 1452 du musée de Berlin qui sont d'ailleurs les première peintures flamandes dont toutes les orthogonales convergent en un même point de fuite.


 

Nativité - 1445
National Gallery of Art - Washington

Annonciation - 1452

Diptyque Annonciation et Nativité


Les deux volets - 1452
Annonciation et Nativité - Le Jugement Dernier
Gemaldegalerie - Berlin

 

Dans ses portraits, Christus structure les visages selon un dièdre contrasté et suggère dès 1446 la formule nouvelle de l'intérieur éclairé latéralement.

Cette recherche de géométrisation a cependant pour rançon un appauvrissement du détail et de l'espace eyckien, qui y perd sa saveur atmosphérique et se vide en se cristallisant. Ailleurs, comme dans la Lamentation du Metropolitan Museum, et dans celle du Louvre, le conflit latent entre la schématisation des pans de lumière et d'ombre et l'acuité du détail débouche sur des formes amorties et un coloris étouffé qui confère au paysage une tonalité sourde, comme si, malgré le ciel serein, un nuage invisible projetait son ombre sur la campagne.

Si Christus s'inspire avec succès de compositions flémalliennes et weydéniennes pour en renouveler l'articulation spatiale, il est significatif que, lorsqu'il se tourne vers les constructions hiératiques de van Eyck, c'est pour en proposer une version simplifiée qui met en évidence la géométrisation de l'espace, comme le montrent son Jugement dernier de 1452 au musée de Berlin et surtout sa Vierge à l'Enfant avec saint Jérôme et saint François de l'institut Staedel de Francfort, sans doute de 1457.

 

Le Jugement Dernier
Gemaldegalerie - Berlin

Vierge à l'Enfant
avec saint Jérôme et saint François
Institut Staedel - Francfort

 

Dans cette dernière œuvre d'ailleurs, l'extension horizontale de l'espace, qui devrait se prolonger dans les volets, atteint une ampleur qui pourrait bien avoir attiré l'attention de Memling.

C'est probablement sur le plan de l'action et de l'expression que s'appréhende le mieux la difficulté interne à laquelle se heurte le successeur de Jan van Eyck. Réintroduire, comme il le tente, le mouvement et les relations des figures à partir de l'espace tout en conservant à celui-ci son caractère enveloppant, décentré, signifiait en effet rompre avec cette objectivation médiévale de la figure qui avait conduit van Eyck à réduire toute action à un état pour réaliser un espace de pure présence. C'était, en d'autres termes, opérer cette fois une subjectivation radicale de la figure jusqu'à en dissoudre le noyau " objectif " médiéval, l'ancrage dans le corporel que van Eyck avait conservé sous la prolifération des détails et qui restait manifeste dans la forme plastique de Flémalle et de van der Weyden.

Mais précisément parce qu'un tel appui leur fait désormais défaut, la conscience des figures de Christus apparaît d'autant plus décentrée, d'autant plus rêveuse et distante par rapport à l'acte, que celui-ci est plus engagé dans une action extérieure. C'est ce qu'illustrent particulièrement la Lamentation de New York et même les figures des saints de la très statique Vierge de Francfort. " (pp. 44-48)

 

Il s'agit peut-être de faire contenir dans un "oeuf" les personnages de ces Lamentations ! Un espace clos pour une lente maturation intérieur. Un ralenti de l'image pour l'éclosion d'une âme et d'un corps nouveaux.

3- " Ora, lege, relege, labora et invenies : prie, lis, relis, travaille et tu trouveras " ! CQFD…

4- de Bruno Etienne (L'Initiation, Dervy, 2002) cette phrase à relier au tableau : " Dans tous les cas, le rite de passage permet la 'déliaison', de s'extirper de la fusion avec la Grand-Mère Originelle, de la déesse-mère et donc de sa mère particulière pour adhérer à la conscience d'appartenir à la société des hommes. "

5- Tous ces éléments et cet ésotérisme se trouvent dans La Chasse à la licorne de (peut-être) 'l'alchimiste' Jean Perréal.

6- Site en anglais sur Petrus Christus
http://www.metmuseum.org/toah/hd/petr/hd_petr.htm

 


4- Comparaisons

 

Il nous est loisible désormais de scruter les Dormitions que nous rencontrerons, en observant chaque Apôtres, son regard, ses gestes, son attitude … pour peut-être y déceler une trace d'hétérodoxie… de protestation…

 

Duccio di Buoninsegna - Maesta - 1308
Musée dell'Opera del Duomo - Sienne

 


Cathédrale de Strasbourg

 


Fra Angelico - 1431 - Museo di San Marco - Florence

 


Hans Multscher - Volets du retable de Wurzacher - 1437
Gemäldegalerie - Berlin




Hugo van der Goes - v.1480
Groeningemuseum - Bruges

" Ce qui nous frappe le plus dans sa Mort de la Vierge, c'est la manière dont il a rendu la diversité des attitudes des douze Apôtres devant la solennité de l'événement. Leur expression va de la calme méditation à la plus violente douleur aussi bien qu'à la vulgaire curiosité. Nous nous ferons une idée plus nette des difficultés que van der Goes a dû vaincre, si nous remontons au tympan de la cathédrale de Strasbourg qui traite du même sujet. Comparés à ceux du peintre, les Apôtres du sculpteur semblent tous pareils. Il était facile à l'artiste médiéval de disposer ses figures dans une ordonnance clairement lisible. Il n'était pas tourmenté par les problèmes du raccourci et du rendu de l'espace. Par contre, nous sentons tout l'effort de van der Goes pour évoquer une scène vraie et cela sans laisser vide ou inexpressif aucun fragment de son panneau. C'est dans les deux Apôtres du premier plan et dans l'effort de l'artiste pour étaler, pour déployer ses figures. Cet effort n'est pas sans donner au geste quelque chose d'un peu forcé qui accentue l'aspect dramatique de la scène qui se déroule autour de la Vierge mourante, seule figure toute de recueillement devant la vision du Christ qui lui ouvre Ses bras. " E.H. Gombrich, Histoire de l'art, Phaidon, 2009, p. 279.

 

 

 

2ème exemple


Notre Dame de l'Arbre Sec - v. 1450
Museo Thyssen-Bornemisza - Madrid


Petrus Christus et son épouse étaient membres de la Fraternité de la Madone de l'Arbre Sec (Onze Lieve Vrouw van de Droge Boom), une société religieuse de Bruges, engagée dans la charité et consacrée à l'Immaculée Conception de la Vierge. Cette société est née en 1396 et a rassemblé l'aristocratie et le clergé. Les ducs de Bourgogne en étaient les membres d'honneur. Elle possédait à Bruges une chapelle dans une église franciscaine des Frères minorités ou mineurs, détruite en 1578 pendant les guerres de religion.

[François d’Assise a voulu que lui et ses frères s’appellent frères mineurs. Mineur a le sens de plus petit. Pour François d'Assise, la notion de minorité dit mieux que celle de pauvreté l’identité des frères, leur vocation. ]

[lire sur ce mouvement des Frères de la Vie Commune plus bas]

Cette petite peinture à l'huile, trouvée au début du 20ème siècle dans une collection belge, a été attribuée à Petrus Christus par Grete Ring en 1919. Elle était très probablement un tableau d'autel familial d'un membre de cette Fraternité.

Elle illustre le verset du Prophète Ezechiel (17.24) :
" Et tous les arbres des champs sauront que moi, l'éternel, j'ai abaissé l'arbre qui s'élevait et élevé l'arbre qui était abaissé, que j'ai desséché l'arbre vert et fait verdir l'arbre sec. Moi, l'éternel, j'ai parlé, et j'agirai. "

Ce verset a été interprété par la théologie médiévale comme une allusion claire au message du " rachat " après " le péché original " et au rôle de la Vierge comme nouvelle Eve ; comme l'indication de la stérilité de sainte Anne, la mère de la Vierge, la grand-mère de Jésus. L'arbre sec a été identifié à l'Arbre de la Connaissance qui, desséché après " le péché original ", devait refleurir à la naissance du Christ.

Jésus est représenté en Rédempteur, avec un globe couronné et surmonté d'une croix dans la main gauche. Les branches sèches des arbres forment, entrelacées, une couronne, en référence claire à sa Passion. Les quinze lettres " A " d'or suspendues aux branches sèches symbolisent la première lettre des paroles de Gabriel : " Ave Maria " ; le nombre quinze est lié à la manière de réciter un chapelet ou le rosaire : " L'oraison vocale du Rosaire consiste à dire quinze dizaines d'Ave Maria précédées par un Pater pendant qu'on médite et qu'on contemple les quinze vertus principales que Jésus et Marie ont pratiquées dans les quinze mystères du saint Rosaire. "
http://fr.wikipedia.org/wiki/Rosaire


Selon une légende, la Vierge et l'Enfant seraient apparus à Philippe III de Bourgogne (dit Philippe le Bon, Dijon-1396 - Bruges-1467), sur le tronc d'un arbre sec, avant une bataille contre les Français. Il aurait alors prié pour la victoire devant cette apparition qui lui était ainsi accordée. La Fraternité aurait été instituée en remerciement et pour la commémoration de cette victoire.

Une autre source possible a été mentionnée : un texte de 1330 du moine et poète français Guillaume de Deguileville (1295 - après 1358) où la même idée est exprimée métaphoriquement.

http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k111234v/f1.image

Guillaume de Digulleville a rédigé trois romans didactiques en vers : Le Pèlerinage de vie humaine, Le Pèlerinage de l'Ame et Le Pèlerinage de Jésus-Christ.

Cinq versions du Pèlerinage de l'Ame existent :
- la version de Guillaume en moyen français (1358)
- la mise en prose française par Jean Gallopes (années 1420)
- la traduction en latin par Gallopes, Peregrinatio Animae (1427)
- la version d'un auteur anonyme et d'Hoccleve en moyen anglais, The Pilgrimage of the Soul (1413), publiée par Caxton en 1483
- la traduction anonyme en latin du manuscrit belge Arsenal 507 (1504)

Né entre 1410 et 1420 et mort en 1475 ou 1476, Petrus Christus aurait pu avoir connaissance du texte en latin.

" Le but de ce mémoire sur le de Guillaume de Deguileville est de définir le statut et la réception de cette œuvre à la fin du moyen âge, ainsi que de mettre en lumière les raisons de sa traduction en moyen anglais et en latin.

Les nombreux thèmes didactiques et attrayants de l'Ame expliquent l'intérêt des traducteurs et du public.

Le Pèlerinage de l'Ame fut écrit en temps de guerre, de peste et de crise religieuse, alors que certains mouvements religieux comme celui des Lollards en Angleterre et la devotio moderna dans les Pays du Rhin exaltaient un mode de vie strict et pieux.

Le pèlerin rêve qu'après sa mort, son âme est jugée. Après un long procès, elle est sauvée de la damnation par une lettre de grâce envoyée par le Christ, puis condamnée à 1000 ans de purgatoire. Au cours de son voyage cosmique, elle est témoin des châtiments infernaux, puis du débat de l'Arbre Vert et de l'Arbre Sec (la Vierge et la Croix), avant d'arriver au paradis. Le rêve permet le passage vers le monde allégorique, dans un système interprétatif qui matérialise les concepts dans des images frappantes afin que le lecteur les mémorise, s'y attarde et parvienne ainsi à s'amender.
En tant qu'exercice de préparation à la mort offrant des explications sur le salut, ce tableau de l'au-delà témoigne du pouvoir de l'Eglise, qui offrait aux individus spiritualité et accès à une piété ardente et affective. Cette piété s'attache souvent aux représentations de la Passion. La lyrique mariale de l'Arbre Vert cherche particulièrement à créer une sympathie fervente pour les souffrances du Christ, cette dévotion est illustrée par de très riches images poétiques, trouvées par exemple chez Bonaventure. "

(extrait de la présentation par Delphine Chagnon de son Mémoire de Maîtrise : Guillaume de Deguileville, The Pilgrimage of the Soul. An Introduction to the Didactic and Devotional Dream Vision, in Middle French, Middle English and Latin (1358-1504) en Juin 2001)

L'iconographie de ce panneau sera réutilisée par d'autres artistes avec des variations : sur des sceaux, maintenant dans les archives municipales de Bruges ; sur des médailles, à la bibliothèque royale d'Albert 1er à Bruxelles ; et dans les peintures, telles que le panneau central du triptyque de Peter Claeyssens le Jeune, achevé en 1620.


— Frères de la Vie Commune

http://fr.wikipedia.org/wiki/Fr%C3%A8res_de_la_vie_commune

Les Frères de la Vie Commune sont les représentants d'un mouvement chrétien apparu dans les Pays-Bas à la fin du Moyen-Âge, sous l'impulsion du diacre Gérard Groote (1340-1384) : c'était une communauté de fidèles libres de toute règle monastique. La discipline des fraternités de la Vie Commune s'inspirait de la vie des premiers chrétiens telle qu'elle est décrite dans les Actes des Apôtres (chapitre 4).

Une quarantaine de Maisons de la Vie Commune (aussi appelées Maisons de la Devotio moderna) furent créées dans les grandes villes des Pays Bas, du Nord et du centre de l'Allemagne. Les communautés de femmes doublaient ce chiffre.

La Devotio moderna fut un mouvement spirituel qui marqua un changement considérable dans la spiritualité chrétienne et qui conduisit au retour d'une vision plus affective de la vie chrétienne mais qui contribua à séparer nettement théologie et vie chrétienne.

" Le mode de vie des Frères rappelait celui des Fraticelles qui causaient alors des troubles au sein de l'Eglise et des Etats, ce qui suscita la méfiance des autorités. La controverse fut portée devant l'université de Cologne, où le jugement fut rendu en faveur des Frères de la Vie Commune, mais le débat ne fut définitivement tranché que lors du Concile de Constance (1414), la cause étant brillamment défendue par Pierre d'Ailly et Gerson.
Un siècle plus tard, la Devotio Moderna s'était largement répandue dans tous les Pays Bas et l'Allemagne. Elle suscita des vocations brillantes, comme celle d'Erasme.
La Réforme, puis la Contre-Réforme, reprirent successivement et sélectivement aux Frères de la Vie Commune ce qui faisait leur originalité au sein de la chrétienté : humilité, non-violence, autonomie. Le mouvement déclina peu à peu à partir du milieu du XVIe siècle, et au milieu du XVIIe siècle, les fraternités avaient totalement disparu. " (article Wikipédia)

http://fr.wikipedia.org/wiki/Devotio_moderna

http://fr.wikipedia.org/wiki/Fraticelles

Ainsi, pouvons-nous comprendre, peut-être, les hiatus qui nous intriguaient dans la Dormition.

 

 

 

3ème exemple

Lamentation - vers 1450 - Metropolitan Museum of Art - New York

— un seul groupe de personnages : Marie-Madeleine, Joseph d'Arimathie, Marie, Jean, le Christ, Nicodème

— rassemblés dans une forme ovale : l'Œuf

— ressemblance parfaite de Nicodème avec Saint-Eloi orfèvre

— qui paraît tirer vers lui le corps du Christ

— Hypothèse : Petrus Christus dont le nom signifie 'pierre du Christ' ne pourrait-il pas s'être représenté extrayant la Pierre Philosophale, la Petrus Christus, de l'Œuf athanor ? Il laisserait dans l'Œuf les quatre éléments assemblés deux par deux, féminin-masculin unis comme en l'Hermaphrodite ?

— Les couleurs " passent " de gauche à droite dans " l'ordre alchimique ", du noir au blanc puis au rouge.

 

Un tableau semblable ;
peintre tourangeau proche de Jean Poyer et de Jean Bourdichon - Tours
Mise au tombeau - v. 1485-1500
église Saint-Pierre-et-Saint-Paul - Gonesse (Val-d'Oise)

 

 

 

4ème exemple



Cette seconde Lamentation de Petrus Christus
(vers 1455-1460 - Royal Museums of Fine Arts of Belgium - Bruxelles)
pourrait supporter la même interprétation.


Trois groupes de personnages dans ce large tableau :
— à gauche : Marie-Madeleine qui médite sur le crâne d'Adam
— au centre : Joseph d'Arimathie, une femme, Marie, Jean, le Christ, Nicodème
— à droite : Marie Salomé et son mari Zébédé ? les donateurs ? qui équilibrent la composition
— des personnages, silencieux, accablés de fatigue et de détresse, isolés dans une intense méditation accompagnée de larmes et de prières, mais emplis d'amour et de foi. Toutefois, les trois personnages extrêmes détournent (ou semblent détourner) la tête.

Interprétation :
— les personnages s'inscrivent aussi dans un 'œuf'
— Nicodème ressemble aussi à Saint-Eloi et semble tirer à lui la Petrus Christus, se 'l'approprier', dans l'ondulation souple des draperies qui anime cette scène
— les deux personnages de droite pourraient être alors le Roi et la Reine alchimiques.
— deux 'arbres' : la Croix (Arbre Sec) tronquée, à l'extrême gauche et un arbre vert (Arbre Vivant)

 

L'œuf

Avec le zodiaque (astres et étoiles rassemblés et dessinés) et la croix, l'œuf est un des symboles de la globalité, du Tout.
L'œuf est au Commencement dans bien des mythologies. La naissance du monde y suit quatre schémas : l'œuf, le plongeon, le démembrement et l'acte sexuel anthropomorphique. Ces schémas mettent en évidence le chaos initial dont va naître l'œuf qui se cassera pour former le monde. Cette cassure suscitera la création du ciel et de la terre. Ainsi, aux premiers instants de la vie dans l'univers, Phanès a émergé de l'œuf cosmique à l'origine du temps, engendrant l'univers. Le fils de Phanès est Éros, le dieu de l'Amour, et l'amour est la voie royale vers la connaissance. L'œuf est toujours un monde en devenir dont l'objet est la naissance de l'être harmonisant en lui tous les aspects du créé.

L'œuf de Phanès correspond au Mercure des philosophes de l'alchimie qui contient en son centre l'Hermès-androgyne ailé, les pieds posés sur le soleil et la lune. Il correspond aussi à l'homme zodiaque des Très Riches Heures du duc de Berry et au Christ en majesté des tympans des cathédrales. Ces représentations illustrent le nouvel Adam acceptant en lui le Dieu à venir.

Pour C.G. Jung (L'Ame et le Soi, Albin Michel, 1990, p.67) : "L'œuf est un germe de vie, investi d'une haute signification symbolique : c'est un symbole non seulement cosmogonique, mais aussi " philosophique " ; d'une part, l'œuf orphique, le commencement du monde, et d'autre part l'ovum philosophicum de la philosophie médiévale de la nature, c'est-à-dire le vase duquel, au terme de l'opus alchymicum, sort l'homunculus, autrement dit l'Anthropos, l'homme spirituel, intérieur et complet, le chên-yen (littéralement : l'homme complet) de l'alchimie chinoise. "


Speculum veritatis - 17è s. - Bibliothèque du Vatican

http://commons.wikimedia.org/wiki/Category:Paintings_of_Lamentation_of_Christ?uselang=fr

 

 

5ème exemple

 

Saint Eloi dans son atelier d'orfèvre - 1449
Metropolitan Museum of Art - New York

Pour admirer le tableau en grand format :
http://kerdonis.fr/ZCHRISTUS01/index.html



Le tableau est signé et daté tout à fait en bas : " m petr xpi me . . fecit . a° 1449 " - " magister Petrus Christi me fecit anno 1449 ", inscription précédée d'une forme ovale sur le m et terminée par un cœur surmonté d'une croix.

 

sur saint Eloi
http://fr.wikipedia.org/wiki/Saint_%C3%89loi

 

Nous n'évoquerons pas ici les diverses interprétations classiques données à ce tableau. Comme les autres œuvres de Petrus Christus convoquées, il sera examiné, sans prétention, dans une lecture ésotérique, alchimique.

 

 

 

 

1- le personnage central :
Il apparaît selon nous dans plusieurs tableaux de Petrus Christus. Il semblerait qu'il y ait une volonté très forte de l'artiste de se mettre en 'œuvre' et signifier par sa présence sa démarche d'homme dans tous ses aspects.
Est-il " chercheur de lumière ", " fils du soleil " ?
Les fondamentaux de l'initiation sont : la lente maturation spirituelle, la découverte progressive de soi, et enfin l'accès à une conscience morale.

2- vers quoi regarde-t-il ?
Peut-être vers la lumière de l'aube qui pointe, ce bleu très pâle, et que l'on devine dans le miroir. L'ombre de la ceinture, des pièces, du miroir, du chapeau du marié.
Ne semble l'intéresser que cette 'Lumière' venue des régions de la Sagesse.

3- la balance :
Il a conservé sa main droite sur le vil plomb de la réalité quotidienne et pèse chaque matin à l'aide de la balance de la sagesse l'or de chacun de ses gestes, l'or de chacune de ses intentions. Transmutation. La balance est encore, toujours, en déséquilibre. Aujourd'hui sera-t-il le jour de la fin de la quête, du travail alchimique intérieur ? Une prière intérieure apporterait-elle l'illumination, l'équilibre intérieur ?
Etre habilité à compléter le Grand Œuvre divin est un don de Dieu, une grâce, qui mérite un grand équilibre spirituel intérieur.


5- le couple royal :
Voyons-y l'Hermaphrodite originaire, l'androgyne primordial, le Rebis, la Conjunctio oppositorum, la résolution des contraires, le mariage alchimique du Roi et de la Reine (les Noces alchimiques), le Hiérogamos

Quel sens donner au geste de la jeune mariée ? Une scène que je rapprocherai volontiers de celle présentée par la tapisserie 6 de La Chasse à la licorne quand le couple royal accueille le pèlerin-Perréal.

6- la ceinture et l'étal :
Dans sa partie gauche, le comptoir comporte un nœud dans son bois signifiant peut-être les problèmes d'avant l'initiation (et le mariage). Dans la partie restante, à droite de la ceinture à l'itinéraire bien tourmenté, le bois est sans nœud, signifiant peut-être une existence plus sereine. Surtout si l'homme garde bien la main sur la poignée de son épée (allusion érotique ?)

 

 

7- d'autres éléments…

- le verre de vin (?) derrière la tête de l'orfèvre, la coupe et le ciboire, sur l'étagère : la transmutation alchimique mais aussi la transubstantiation lors de la messe ?

- la couleur rouge du vêtement de saint Eloi. Celles du marié qui sont celles du processus alchimique : rouge, blanc, noir.

- le renforcement du mur et le rideau vert. Sa partie fermée, cachée, c'est l'ésotérisme, le Livre fermé ; sa partie ouverte, c'est l'exotérisme, le Livre ouvert.

- les dents de requin : un anti-poison qui change de couleur, mais peut-être la métaphore des langues de deux serpents, ceux du caducée d'Hermès (l'alchimiste est " fils d'Hermès, de Mercure ")

- les pièces de monnaie : tandis que la Pierre philosophale (la Sagesse) est la chose la plus importante qui soit pour l'univers et l'être humain, l'argent n'a que la valeur immédiate que lui accorde un société mercantile.

- les quatre éléments sont-ils présents dans ce tableau ? la rue : la terre ; l'air : le faucon ; l'épée : le feu ; le corail : l'eau ?

- et où se cache l'homoncule ? Dans le miroir, comme l'image ci-contre le montre ?

http://fr.wikipedia.org/wiki/Homoncule_(alchimie)

 

 

 

Ce tableau Saint-Eloi serait-il à associer
au signe zodiacal des Gémeaux et à la planète Mercure ?

Premier décan
Période : 21 mai - 1 juin
Astres : Mercure & Jupiter
Image du décan : Un jeune homme portant une ceinture (celle qui est sur la table)
Le premier décan se trouve rehaussé par Jupiter.

Deuxième décan
Période : 2 juin - 11 juin
Astres : Mercure & Mars
Image du décan : Un homme coupant du bois à l'aide d'une hache (dans le tableau : une épée)
Le second décan se trouve rehaussé par Mars (l'épée de la guerre).

Troisième décan
Période : 12 juin - 21 juin
Astres : Mercure & le Soleil
Image du décan : Un homme tenant un faucon d'une main et un filet de l'autre (le miroir)
Le troisième décan se trouve rehaussé par le Soleil (l'aube qui se lève).

Soit : la ceinture sur la tablette à gauche, l'épée (= la hache) au centre, le faucon et le miroir (=le filet qui capture) à droite.

Pourquoi le signe des Gémeaux ?

- S'agit-il, comme cela peut se lire dans quelques analyses de ce tableau, du mariage de Marie de Gueldres et Jacques Stuart II, roi d'Écosse ? Hugo van der Velden identifiait cet orfèvre comme Willem van Vlueten à qui Philippe le Bon, en 1449, avait commandé le cadeau de mariage pour Marie de Gueldres.
Non, car les fiançailles eurent lieu en Avril et le mariage en Juillet 1449 : donc pas dans le signe des Gémeaux !

- S'agit-il de la date de naissance de Petrus Christus ? Entre le 21 mai et le 21 juin ?

 

La branche de corail

 

Elle se retrouve dans la gravure de l'Emblème 32 illustrant l'Atalanta Fugiens de Michael Maier de 1617



Et sur le caisson 30, l'ange acrobate de l'hôtel Lallemant à Bourges
http://hermetism.free.fr/Hotel%20Lallemant%20ange%20acrobate.htm

Fulcanelli analyse ainsi ce cette figure :
" Notre ange joue à l'acrobate, à la différence de son jumeau assis tranquillement de l'autre côté de la Rose hermétique, objet de la quête de l'alchimiste.
Essayez de prendre sa pose. Il est en effet bien difficile de l'imiter. Il tient dans sa main une sorte de rosaire terminé par un curieux objet. Ce rosaire ou collier présente un agencement spécial de ses grains. Ils sont regroupés selon la suite arithmétique ascendante un, deux, trois, quatre, cinq, faisant penser à la tetraktis pythagoricienne. Dans son travail l'ange finit d'ordonner ses grains en amenant celui qui se trouve près de sa main droite à rejoindre les quatre autres pour en faire une série de cinq et finir ainsi son ordonnancement.
Mais que peut représenter l'objet en bout en cordelette ? Un auteur y voit un bout de corne de cerf, le "CC" des symboles spagyriques. Le caisson examiné de près n'offre pas de détails supplémentaires et l'interrogation persiste. Néanmoins en recherchant quel type de bijou pouvait se trouver au bout de cordelette à pompon ou de collier à pendentif dans les peintures de la renaissance italienne, une identification apparaît plausible : il s'agirait d'un fragment de corail comme dans le tableau de la Madone de Sénigallia dû au peintre Piero della Francesca, en 1470. L'enfant Jésus y porte un pendentif de corail rouge.





Piero della Francesca - Madone de Senigallia
vers 1455-1470
Galleria Nazionale delle Marche - Senigallia

 

Le corail rouge, le Corallium rubrum des joailliers, était jadis intensivement pêché en Méditerranée. On ne le trouve aujourd'hui qu'à une certaine profondeur et sa cueillette est très réglementée. La mythologie tient le corail pour du sang pétrifié de Gorgones. Voilà de quoi nous glacer le sang. Porté en pendentif, il servait à éloigner les influences néfastes et les maladies. Il est d'ailleurs utilisé de nos jours notamment en homéopathie.
C'est donc à la fabrication d'un talisman, d'une médecine particulière, que nous invite l'ange. "

 

Andrea Mantegna - La Vierge de la Victoire - 1496
Musée du Louvre

 

Le Livre de Cratès : Manuscrit arabe du VIIIe siècle ap. n.è. - bibliothèque de Leyde

" C'est avec cette substance que l'on fait le soufre sec, que les philosophes ont appelé rouille et ferment d'or, or à l'épreuve, et corail d'or (mot à mot : or de pourpre). "

" Quant aux noms que les Anciens ont donnés, comme, par exemple, ceux de cuivre, d'argent, de chair, de molybdochalque, d'or, de fleur d'or, de corail d'or, ce sont là des dénominations qu'ils ont créées pour désigner l'élixir. Ils ont voulu ainsi indiquer chacune des couleurs que prend l'élixir, et ils ont suivi jusqu'au bout l'ordre dans lequel elles se produisent. Chaque fois qu'on augmentait la fluidité du mélange, une nouvelle couleur était déterminée ; à chaque changement de couleur, on donnait un nouveau nom au mélange, et sa puissance tinctoriale augmentait.
Aussi les livres secrets des philosophes l'ont-ils nommé d'abord plomb ; puis quand il a été cuit et que le noir en a été extrait, on l'a appelé argent ; ensuite, lorsqu'il a été transformé, cuivre. Quand on a versé sur ce produit de l'humidité, après la rouille ; lorsque l'on a éliminé la matière noire dans la partie rouillée et qu'on a vu apparaître le jaune, on lui a donné alors le nom d'or. A la suite de la quatrième opération, nous l'avons appelé ferment d'or ; à la suite de la cinquième, or à l'épreuve ; à la suite de la sixième, corail d'or (or de pourpre) ; enfin à la suite de la septième opération, c'est l'œuvre parfaite, la teinture pénétrante.
Tous ces noms ne s'acquièrent que sous l'influence du feu, et c'est grâce à lui que les opérations engendrent ces qualités, qu'aucune teinture ne développe à un si haut degré, ni avec une telle intensité et qu'on ne saurait, sans illusion, chercher à obtenir autrement. Si les gens connaissaient la puissance nécessaire pour former la meilleure qualité, ils sauraient qu'une seule matière peut donner naissance aux dix produits dénommés par les Anciens. "

" Soyez assuré que l'or ne se transforme qu'avec le plomb et le cuivre. Il se dissout dans ce vinaigre, dont la composition est connue des philosophes, et il se transforme en rouille : c'est de cette rouille que les philosophes veulent parler quand ils disent : Mettez de l'or, il s'amollira ; mettez encore de l'or et ce sera du corail d'or. (Tous ces noms sont les noms véritables des corps. Quant aux indications vagues fournies par les philosophes, au sujet des matières qui ont des noms spéciaux, elles ont pour objet de désigner les corps solides et la solution. Toutefois il convient de nommer la matière unique.) "

http://le-miroir-alchimique.blogspot.com/2011/01/anonyme-le-livre-de-crates.html

http://enigm-art.blogspot.com/2010/07/le-corail-dans-la-peinture.html


le miroir

Bordé du reflet rouge de l'habit et marron du rideau, il se veut peut-être l'interface entre le monde quotidien et le but final de la quête.
Par sa forme, ne serait-il pas l'Œuf Philosophal d'où naîtra la Petrus Christus, la Pierre Philosophale, but de toute quête ?
C'est un œuf de verre qui contient un oiseau prêt à l'envol comme dans maintes images alchimiques. L'Ouroboros l'encercle-t-il ?
L'œuf, c'est le Commencement dans bien des mythologies. Du chaos initial, va naître l'œuf qui se cassera pour former le monde, créer le ciel et la terre. L'œuf est reproduction de la cosmogonie.
Le miroir présente des craquelures : notre monde est imparfait ; les alchimistes tentent d'y remédier en " copiant " la Nature.

Le miroir serait là (aussi) pour savoir qui on est… Petrus se cherche-t-il ? Cherche-t-il l'homme nouveau qu'il veut être ? Celui qui tient le faucon qui peut regarder le soleil en face.

 

Rose-Marie et Rainer Hagen (Les dessous des chefs-d'œuvre, Taschen, 2003, p. 48-9), supposent que Petrus Christus a peint son autoportrait dans le miroir : il serait " l'homme au faucon qui présente sa tête de trois-quarts selon l'usage. " Les auteurs ajoutent : " A côté de la signature, le signe en forme de cœur pourrait être la " marque du maître ", comme celle qu'apposaient jadis sur leurs ouvrages, non pas les peintres, mais les miniaturistes et les orfèvres de Bruges. "

 

Fulcanelli nous parle du miroir (Le Mystère des cathédrales, p. 124) :

" ... la matière première, celle que l'artiste doit élire pour commencer l'Œuvre, est dénommée Miroir de l'Art... parce que [nous dit De Respour in Rares Expériences sur l'Esprit minéral, Langlois et Barbin, Paris, 1668] c'est principalement par elle que l'on a appris la composition des métaux dans les veines de la terre... Basile Valentin... écrit de même... C'est un Miroir où l'on voit briller et paraître notre Mercure, notre Soleil et Lune... Rappelons enfin que le miroir est l'attribut de la Vérité, de la Prudence et de la Science chez tous les poètes et mythologues grecs... "
Nous n'insisterons pas ici sur le symbolisme traditionnel que l'on donne au miroir et laisserons à méditer cette parole :
" Comme le soleil, comme la lune, comme l'eau, comme l'or, sois clair et brillant et reflète ce qu'il y a dans ton cœur ... " que chaque Adepte, en attendant la coagulation de l'eau mercurielle, a dû se dire un jour ou l'autre... Le rapport entre l'étoile du matin - Lucifer - et l'étoile de mer — astérie — a été bien étudié par E. Canseliet dans ses études alchimiques (La Femme sans tête, in Alchimie) :
"... le sage, plus accoutumé d'abaisser ses regards vers la terre, sa mère, que de les porter au ciel, sa future demeure, voit aisément cet astre briller, par réflexion, au sein des ondes pures de la source hermétique. Aussi les alchimistes ont-ils désigné cette eau calme et limpide, qui constitue leur mer [marmor], par l'expression " Miroir de l'Art ", pour la raison qu'ils y contemplent d'abord l'astre radieux, avant de le trouver au firmament nocturne où son rayonnement est beaucoup atténué."

 

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Pour Alix Durantou, ce tableau « rappelle subtilement le point de vue largement partagé parmi les moralistes chrétiens quant à la coiffure féminine et à l'apparat en général. […] Observons l'atour à cornes de la dame, qui est recouvert d'un fin voile blanc et muni d'oreillettes. Son compagnon est lui aussi richement coiffé d'un chaperon de drap noir, orné au centre d'un affiquet. Sur les étagères installées sur le mur à droite de l'artisan, parmi tous les bijoux, des fermaux sont accrochés sur des présentoirs. L'étalage d'objets luxueux se double d'un message moralisateur. En effet, l'un des deux hommes dont nous voyons le reflet dans le petit miroir posé sur l'établi porte sur son bras un faucon, symbole d'orgueil et d'envie. L'oiseau renforce la signification du miroir, qui est lui-même une marque de vanité et un attribut de la vaine gloire.

Cette configuration allégorique qui associe faucon et hauts atours se retrouve dans des Scènes de la vie de David qui ornent un livre d'heures conservé à la Pierpont Morgan Library (MS. M. 453, folio 98 verso). Le roi épie un couple, sans doute Bethsabée et son époux Uriah, deux jeunes gens somptueusement vêtus dont les mains réunies servent de perchoir au rapace. »

Alix Durantou, Grandes cornes et hauts atours : le hennin et la mode au Moyen Âge, École du Louvre, 2019, p. 91.

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Paul PHILIPPOT
, en sa note 30, p. 317, de son ouvrage La Peinture dans les anciens Pays-Bas - XVe-XVIe siècles (Flammarion, Champs Arts, 1994 et 1998), écrit :
" Jan van Eyck avait aussi réalisé un Bain de femmes très apprécié par Bartolomeo Fazio, dans lequel un miroir reflétait tout ce qui se trouvait dans la pièce et en particulier le dos d'une femme représentée de face. Le motif du miroir convexe connaît dans la peinture flamande du XVe siècle un succès significatif, qui s'explique évidemment par le fait qu'il contient l'image d'un espace très vaste dans un très petit objet.
On le retrouve dans le volet gauche du Retable WerI du Prado, attribué au Maître de Flémalle et daté de 1438, dans le Saint Eloi de 1449 de Petrus Christus (collection Lehman, New York) et dans la Vierge du diptyque de Memling (Chicago Art Institute). "

 

 

Hans Memling - Vierge à l'Enfant - 1485-1490
Chicago Art Institute

Robert Campin - Saint Jean-Baptiste
et le donateur, Henrich Von Werl
- 1438
Prado - Madrid

 

Le tableau Le Cabinet d'amateur de Cornelis van der Geest lors de la Visite des Archiducs, peint par Willem van Haecht en 1628, met en scène la visite que l'archiduchesse Isabelle et son époux Albert d'Autriche, gouverneurs des Pays-Bas méridionaux, rendirent le 23 août 1615 à Cornelis van der Geest.

Le tableau de Van Haecht montre 43 œuvres, dont la Femme au bain de Jan van Eyck.

La description du génois Bartolomeo Fazio (1456) apprend que Van Eyck aurait peint un "Bain des femmes" appartenant au cardinal Ottaviano della Carda.
Mais ce fameux Bain de femmes qui fit rêver des générations d'artistes, à commencer par Dürer, ayant disparu, sa copie par Van Haecht est l'une des deux traces qu'il nous reste.

La seconde est une peinture sur bois du XVe siècle, actuellement au Harvard University Art Museums de Cambridge.


http://www.aparences.net/les-primitifs-flamands/jan-van-eyck/

Le tableau est une copie - en mauvais état - du panneau disparu de Van Eyck. Les analogies avec le double portrait des époux Arnolfini sont indubitables.


Paul Philippot poursuit dans cette même note :
" Il est frappant que le cadre du miroir de van Eyck, au dessin échancré, est conçu pour accentuer le rayonnement de l'image reflétée, tandis que celui, circulaire, du Maître de Flémalle, la contient avec force dans les limites tangibles de l'objet. Chez Petrus Christus et chez Memling la présentation oblique et non frontale renforce encore ce caractère d'objet au détriment de l'image réfléchie : le miroir est devenu un simple accessoire du mobilier. "

Gilles Chambon (Le paysage urbain dans la peinture au Moyen-Âge et à la Renaissance) écrit quant à lui : " Sur la peinture de P. Christus, le miroir, en bas à droite, posé de biais, reflète la scène urbaine qui est censée faire face à l'ouverture de la boutique où est assis saint Eloi, et où devrait apparaître l'image du peintre ; mais quinze années se sont écoulées depuis le Portrait des époux Arnolfini, et la signification du miroir est devenue un simple signe de déférence d'un élève envers son maître. "

Notre explication du symbolisme du miroir dans le tableau de Petrus Christus nous met en désaccord avec les deux affirmations ci-dessus. Il en est de même avec tout tableau où apparaît un miroir qui n'est absolument pas " un simple accessoire du mobilier" ou "un simple signe de déférence ". Les peintres auraient pu poser sur le meuble ou accrocher au mur tout autre objet : cet élément aurait pris un sens précis pour l'artiste, et pour nous qui aimons lire les symboles. Pourquoi pas un pot de chambre, bien en vue au premier plan, comme dans le sixième exemple qui suit ?

 

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Quelques images extraites des ouvrages alchimiques, se rapportent au miroir. Souvent il permet de conduire la lumière du soleil, condenser sa chaleur pour maintenir à température voulue les divers récipients.

Il permet aussi de dévier les images pour mieux les regarder sur un plan plus neutre. Il peut encore aider à allumer un feu.



illustration de Athanasius Kircher - 17è s.

Eugène Canseliet parle des miroirs dans son Alchimie expliquée sur ses Textes classiques, au chapitre de l'Œuf philosophal (p. 270) :
" Certes, les filets lumineux ne sont pas habituels, et deux miroirs, à savoir deux Mercures, sont nécessaires, afin d'attirer celui que l'astre du jour projette et d'en libérer la force du feu secret. Au vrai, le mercure des sages se partage en deux fonctions très différentes, et c'est pourquoi, sur notre image, le premier réceptacle est plus volumineux que le second ; l'un devant être traversé, avant que l'autre le soit à son tour. "


image tirée de Introïtus de Philalèthe
le rayon de l'alchimie et celui de la spagyrie


" A la partie supérieure que l'on ne distingue pas ici, le trait lumineux de droite est émané à partir du soleil " vulgaire " tandis que le trait lumineux de gauche provient d'un aigle royal. Par là semble être distingué la voie spagyrique de la dissolution " vile " des métaux, conduisant aux pierres factices par des procédés contre nature tandis que la seconde est la vraie alchimie qui conduit, par l'utilisation de sels appropriés selon le poids requis, à la réelle naissance du dauphin hermétique. "

sur les miroirs (6 pages à consultersur le très beau site) :
http://wodka.over-blog.com/article-2856341.html

 

Le faucon

Dans L'Alchimiste (O Alquimista, paru en 1988 - 1994 pour la traduction française), Paulo Coelho donne à l'Alchimiste l'apparence suivante : un cavalier monté sur un gigantesque cheval blanc, vêtu de noir, coiffé d'un turban et un voile sur le visage ne laissant voir que ses yeux, une épée à la main et un faucon sur l'épaule gauche.


Caisson 27 de l'Hôtel Lallemant à Bourges :
le faucon pèlerin becquetant un crâne humain à terre
" Faucon grilleté et igné empiétant un crâne qu'il becquette "


C'est là le soufre métallique. En dépit de sa qualité ignée, il ne brûle pas, mais putréfie. Remarquons au passage que le faucon - falco - vient de falx, la faux qui est l'emblème de Saturne... Le Faucon, " œil et la griffe de la providence " quand il s'abat sur une proie, voit tout de très loin et de très haut.
En alchimie, le Faucon ou l'Aigle dévorant le Lion est le symbole de l'affranchissement de la pesanteur, de l'envolée de l'âme.


Dans les traditions perses, les termes d'aigle et de faucon eurent le même sens.
L'image de l'épervier ou du faucon fut choisie par les anciens Egyptiens pour consacrer le soleil levant, et comme hiéroglyphe de l'âme qui paraissait s'envoler vers les cieux.

En Egypte antique, le faucon fut l'oiseau le plus respecté pour sa force, sa beauté, la noblesse de son vol, sa longue vie et sa capacité à regarder le soleil. Aussi, son culte perdura des milliers d'années. Ménès fut qualifié de 'roi-faucon' (3 500av n.è.). Il est l'oiseau de feu, le messager entre le ciel et la terre en transmettant la loi céleste aux humains. Il est alors Horus, le dieu soleil égyptien à tête de faucon, fils d'Isis et d'Osiris.

Il demeura l'emblème solaire pour les Grecs et les Romains qui l'appréciaient pour la discrétion humble de son plumage, la célérité, la rapidité et la précision de son vol. Dressé, il est le chasseur idéal : il n'attrape sa proie que sur ordre et ne pratique pas l'hécatombe.

Au Moyen Age, le faucon est " noble " ; avec le cheval, il partageait le privilège d'assister à la messe, déposé sur un coin de l'autel. Le gant du fauconnier deviendra un attribut héraldique de noblesse.

Les Indiens Zuni l'associent au Zénith : le soleil est à la fois bienfaiteur car porteur de lumière et nuisible car incendiaire. Le faucon lui ressemble : guide spirituel ou instrument de destruction.

 

Le Pélican

Le pélican (le monde divin - le macrocosme) s'oppose au faucon (le monde séculier - le microcosme)

On pensait que cet oiseau blanc perçait sa propre chair et nourrissait ses petits de son propre. Selon une autre légende, le pélican tuait ses petits, puis, pris de remords, ouvrait sa poitrine de son bec. Son sang, versé sur les oisillons, les ramenait à la vie.



Le pélican nourrissant ses poussins
Hugues de Fouilloy - De avibus
Dernier quart du XIIe siècle
Troyes - Médiathèque de l'Agglomération
ms. 177, fol. 144v


cathédrale de Metz
détail du portail de la Vierge


Le pélican ne pouvait, dans la symbolique chrétienne occidentale, que symboliser le sacrifice du Christ crucifié dont le sang devait racheter le " péché originel " et tous les péchés.


Il est l'image de l'âme qui se dévoue sans réserve. Il est l'emblème de la charité médiévale.


Barthelemy l'Anglais
illustration dans De Proprietatibus Rerum
Le Mans - 15e
s.

Dans son aire, ses ailes ouvertes en protection des oisillons, il symbolise l'abnégation parentale, l'amour du père pour ses enfants, l'amour du souverain pour son peuple.


miniature alchimique,
provenant probablement de l'Aurora Consurgens (Le lever de l'aurore)
ou de Das Buch der HI. Dreifaltigkeit

L'Aurora consurgens est un traité alchimique médiéval autrefois attribué à Thomas d'Aquin et redécouvert par C.G. Jung. Il est enluminé de 37 miniatures à l'aquarelle. Le plus ancien manuscrit (Zurich Zentralbibliothek MS. Rhenoviensis 172), incomplet, date de v. 1420. Une version complète date d'environ 1450 (Prague, Universitni Knihovna, MS. VI. Fd. 26).
Avant le 15è siècle, après l'albedo et avant le rubedo, les alchimistes citaient la citrinitas ou xanthosis, le jaunissement, transition du blanc au rouge. Certains, exceptionnellement, voyaient le viridus, le vert.
Entre la phase lunaire (albedo) et la phase solaire (rubedo), l'aurora consurgens, le lever de l'aurore : la symbolique de l'espoir de quitter les ténèbres pour la lumière.

En héraldique médiévale, le pélican est représenté comme un oiseau à bec d'aigle perché sur son nid, perforant sa poitrine. S'il se trouve au-dessus de ses oisillons, il est décrit comme " un pélican de piété ".


C'est aussi un fort symbole alchimique.


Illustration de l'Aurora Consurgens

Deux "artisans" extraient d'une caverne la matière première idoine pour la confection de la Pierre philosophale.


Le sacrifice imaginé du pélican derrière eux sert de comparaison à la Pierre philosophale qui " meurt " afin de régénérer les métaux imparfaits.

Figure III du Solidonius :
pélican et phénix associés dans la mort, l'un par son sang,
l'autre par la crémation afin de renaître comme la pierre philosophale


frontispice du De Alchimia Opuscula Complura - 17è s.

Le roi androgyne tient le calice aux serpents
assisté du pélican et de l'arbuste aux soleils d'or

Il a donné son nom à un récipient qui lui ressemble morphologiquement. Un pélican est un vase hermétique muni de deux tubes reliant le sommet à la base, propre à faire circuler le produit du matras alchimique.


"...je mis la dissolution totale à fermenter dans un pélican pendant quarante jours, au bout desquels il se précipita par l'effet de la chaleur interne de la fermentation une matière noire. C'est alors que je distillai sans feu, le mieux qu'il me fut possible, le liquide précieux qui surnageait la matière contenant son feu intérieur, et le mis dans un vase en verre blanc, bien bouché à l'émeri, dans un lieu humide et froid."

 

 

 

6ème exemple

 

Vierge à l'Enfant dans un intérieur domestique - vers 1460-1467 ou 1470
Nelson-Atkins Museum of Art - Kansas City - Missouri

Tableau peint peut-être pour le mariage de Charles le Téméraire et de Marguerite d'York le 3 Juillet 1468 à Bruges ? (fleurs de lys sur le haut du lit ; le lion d'or sur le chandelier et les couleurs rouge et bleu des armes de Charles) ?

A rapprocher de cet autre tableau de Petrus Christus
Vierge à l'Enfant - 1457-1460 - Musée du Prado - Madrid

1- Le visage du bébé n'est pas celui d'un bébé ; ne serait-ce pas un auto-portrait rajeuni de Petrus Christus ? Il présente les mêmes caractéristiques que ceux des deux Nicodème des deux Lamentations et de Saint-Eloi orfèvre : mêmes linéaments du visage, yeux grand ouverts. N'y a-t-il pas arrogance de la part de Petrus Christus de se mettre en place de Jésus ?

 



2- Une lecture ésotérique, alchimique, est-elle alors possible ?

2.1- La succession des pièces suggère-t-elle les diverses étapes d'une initiation ?
— l'homme qui arrive au fond passe sous le porche, entre dans le temple, première étape pour l'initié. (Il est sur la diagonale qui passe par Jésus - Marie - Joseph (Marie étant au point déterminé par le nombre d'or). Il porte le bâton de pèlerin, le rosaire, et ses vêtements sont des mêmes couleurs mais inversées que Marie)
— des marches sont visibles tout au long de 'parcours' initiatique.
— pour l'instant la Reine et le Roi des Cieux lui tournent le dos, il n'en est qu'au premier pas dans sa quête, son travail.

2.2- quel sens donner à ce pot de chambre, sous la marche menant au lit, très visible presqu'au centre du tableau ?
Les textes alchimiques indiquent la présence de l'urine de l'enfant pour réaliser le Grand Œuvre.

Citation extraite d'un ex-site :
http://meta-odos.com/textes/don-pernety/fables-1/des-noms-que-les-anciens-philosophes-ont-donne-a-la-matiere.html

" Chez les Aborigènes, la figure de Saturne était en grande vénération ; ils la mettaient sur leurs médailles, sur leurs colonnes, obélisques, etc. Ils représentaient Saturne sous la figure d'un vieillard, ayant cependant un air mâle et vigoureux, qui laissait couler son urine en forme de jet d'eau ; c'était dans cette eau qu'ils faisaient consister la meilleure partie de leur médecine et de leurs richesses. D'autres y joignaient la plante appelée Molybdnos, ou plante Saturnienne, donc ils disaient que la racine était de plomb, la tige d'argent et les fleurs d'or. C'est la même dont il est fait mention dans Homère (Odyssée I. 10. v. 302, et suiv.) sous le nom de Moly … Les Grecs inventèrent aussi une infinité de fables à cette occasion, et formèrent en conséquence le nom de Mercure de MhroV, inguin, et de KaxoV, puer, parce que le Mercure philosophique est une eau, que plusieurs Auteurs, et particulièrement Raymond Lulle (Lib. Secretorum et alibi.) ont appelé urine d'enfant. De là aussi la fable d'Orion, engendré de l'urine de Jupiter, de Neptune et de Mercure. "

 

Citation de Fulcanelli : "C'est ainsi que Blaise de Vigenère obtint l'acide benzoïque par sublimation du benjoin ; que Brandt put extraire le phosphore en recherchant l'alkaest dissolvant universel dans l'urine. "

La notion d'eau du bain et les allusions à l'urine sont fréquentes en alchimie. On parle souvent de " la tiédeur d'une urine d'enfant ", elle doit être mélangée à l'eau de la Vierge. L'urine peut être utilisée pour laver le mercure au cours du travail de l'alchimiste.
Dans certains livres, un enfant qui urine signifie l'eau de Jouvence, obtenue à partir de la pierre philosophale et qui assure la santé, sinon l'éternelle jeunesse.

L'urine, acide naturel, corrode les métaux ; elle symbolise l'eau mercurielle, " l'or au blanc ".

ttp://ora-et-labora.frenchboard.com/t464-alchimie-pratique-non-censuree-via-l-urine

Mircea Eliade (Alchimie asiatique, L'Herne, 1978, p. 69) relève que les biographies légendaires des 84 siddha [adeptes du Siddha Yoga] qui nous sont parvenues nous apprennent que certains sittaris tamouls auraient été des alchimistes qui pratiquaient l'art secret de la fabrication de l'or et qui auraient connu " l'élixir de longue vie ". Ainsi, Karnari aurait obtenu l'élixir de vie à partir de l'urine. Le Shivasmhita, manuel de hatha-yoga, affirme que le yogi peut transformer tout métal ordinaire en or en le frottant avec ses excréments et son urine.


Artéphius, philosophe hermétique juif ou arabe qui vivait vers 1130, avait déclaré que le mercure des philosophes était l'urine des jeunes colériques, affirmation que bien des alchimistes anciens ont pris pour parole d'évangile !
" L'eau de la rosée de Mai nettoie ces corps, les pénètre comme l'eau de la pluie, les blanchit, et fait être un corps nouveau composé de deux corps [cette rosée de mai est une autre désignation du Mercure : il s'agit de l'urine des anges et du moyen de liaison entre l'Âme et la Terre]. Cette eau de vie gouvernée avec ce corps, elle le blanchit, le convertissant en sa couleur blanche. Or cette eau est une fumée blanche, et partant le corps se blanchit avec icelle. Il te faut donc blanchir ce corps et rompre tes livres. "

Une chaîne sonore dans le langage des oiseaux irait d' " urine " à " urina " en latin, puis à " ouron " en grec, et nous conduirait à " ouranos ", le ciel grec : des ténèbres d'où sourd l'eau des sages à la luminescence des cieux…


Quelques images extraites d'ouvrages alchimiques où l'urine tient drûment son rôle :



Aurora Consurgens - Aurore buvant du sang (et pissant quoi ?)

 



L'alchimiste (enfant de Saturne), les trois fleurs et le garçon urinant
Simeon Ben Cantara - Cabala Mineralis - 17è s.


Un des caissons alchimiques de l'Hôtel Lallemant à Bourges représente un angelot qui urine ; une fillette écarte ses cottes et urine dans un sabot.
http://hermetism.free.fr/archi-lallemant-12.htm
http://hermetism.free.fr/Hotel%20Lallemant%20et%20Fulcanelli.htm

Un extrait du site d'Hervé Delboy à propos de ce caisson alchimique de l'Hôtel Lallemant :

" Il faudrait un traité entier pour dévoiler l'arcane caché par cette scène singulière. L'urine - pour nous, Modernes, un objet de dégoût - était autrefois très considérée. Au point qu'au Moyen Âge, on recommandait d'en boire... On lui a prêté toutes sortes de vertu. On disait, entre autre, qu'elle protégeait du mauvais œil, des démons et que se laver les mains avec de l'urine protégeait des maléfices. Un cérémonial était d'ailleurs requis pour que l'urine soit apte à promouvoir ses qualités occultes : il fallait opérer la nuit, dans une pièce obscure dont on avait comblé toutes les ouvertures. […]
… l'urine était considérée par les Anciens, au même titre que les cheveux, les rognures d'ongle, pour contenir l'âme d'un individu. Il y a là une indication. […]
… Hermès Trismégiste aurait divisé le jour et la nuit en douze heures, suite à l'observation d'un Cynocéphale [singe à tête de chien] qui jetait son urine douze fois par jour et douze fois par nuit, à des intervalles égaux. "

 


La Fontaine Indécente ou l'Eau des Sages - caisson du plafond de la salle des gardes du château du Plessis-Bourré
Une jeune femme debout envoie un jet d'urine dans un chapeau que lui présente un jeune homme nu



Speculum Veritatis
- XVIIe s.
Ms latin n° 7286 - Bibliothèque vaticane

 

— un site en italien : http://nemocap.wordpress.com/


 

D'une œuvre à l'autre … des détails communs

 

1- la pomme

Au Moyen Age, l'arbre défendu au jardin d'Eden était un pommier : le latin malum signifie à la fois mauvais et pomme. Certains tableaux médiévaux présentent des fruits posés sur le rebord des fenêtres :
- Vierge d'Ince Hall attribuée à Jan van Eyck (National Gallery of Victoria - Melbourne)
- Vierge et l'Enfant dans un Intérieur Gothique de Petrus Christus (Nelson-Atkins Museum of Art - Kansas City).

2- le petit lion sculpté

Il est du décor aux extrémités des meubles dans certains tableaux :
- du Maître de Flémalle (Robert Campin ?) : Vierge à l'Ecran d'Osier (National Gallery - Londres) et panneau central de l'Annonciation (The Cloisters - New York)
- Jan van Eyck : Vierge Allaitant (Städelsches Kunstinstitut - Francfort)
- Petrus Christus : Vierge et l'Enfant dans un Intérieur Gothique (Nelson-Atkins Museum of Art - Kansas City)
- Rogier van der Weyden : Annonciation (Musée du Louvre - Paris)

Celle ou celui qui s'asseyait dans ce siège pouvait fantasmer et se croire soit le sage Salomon (selon Tzvetan Todorov), soit le Daniel biblique (le dernier des quatre grands prophètes, l'interprète des songes du roi Nabuchodonosor, le sauveur de l'honneur de Suzanne accusée par deux vieillards libidineux), qui, dans la fosse, aurait apprivoisé les lions qui devaient le dévorer.

 

3- Jan van Eyck et Petrus Christus

 

1- Jan van Eyck - Les Epoux Arnolfini - 1434
2- Petrus Christus - Vierge et l'Enfant dans un Intérieur Gothique

- le petit lion sculpté sur le meuble
- le lit avec un fauteuil intégré, imposant tel un trône
- le lustre
- la pomme sur le rebord de la fenêtre
- la fenêtre à gauche (à droite pour les personnages)

Le même siège - trépied se retrouve dans la Dormition et le tableau 2 : la Trinité est bien présente !

 


Et ce charmant tableau pour une prouesse des jeux de l'amour !


Lorenzo Lotto - Vénus et Cupidon - v. 1525
Metropolitan Museum of Art - New York

 

https://fr.wikipedia.org/wiki/Liste_des_%C5%93uvres_de_Petrus_Christus

 

 

Petrus Christus - Biographie


http://fr.wikipedia.org/wiki/Petrus_Christus

" Petrus Christus est un peintre flamand. Il serait né entre 1410 et 1420 à Baarle-Hertog (près de Breda) et mort en 1475 ou 1476 à Bruges.
Influencé par les " fondateurs " flamands, Van Eyck et Van der Weyden, reprenant leur goût pour la précision réaliste et le rendu de la perspective.
Il travaille dans l'atelier de Jan van Eyck jusqu'au décès de ce dernier (1441). Il aurait achevé certains de ses tableaux. " (wikipédia)

Selon Gilles Chambon, Petrus Christus s'est sans doute rendu en Italie entre 1453 et 1455.

http://www.artcyclopedia.com/artists/christus_petrus.html


W. H. J. WEALE, suggérait en 1909, dans Peintres brugeois : les Christus, Annales de la Société d'Emulation de Bruges : " Perhaps the artist's father, who was also named Pieter, was his first master - Peut-être que le père de l'artiste, qui se prénommait aussi Pieter, fut son premier maître. "

 

Joel M. UPTON, Petrus Christus, The Pennsylvania State University, 1990

" And it is possible that the curious but charming name … was once a sobriquet for a painter of Holy Faces such as 'Pieter de Christus man' : " Et il est possible que ce curieux mais charmant nom ... était au départ un sobriquet pour un peintre d'images saintes, comme de la Sainte Face, tel que " Pieter du Christ ". Peut-être que le père de l'artiste, qui portait aussi le nom de Pieter, fut son premier maître ".


Peter H. SCHABACKER, Petrus Christus, Haentjens Dekker/Gumbert, Utrecht, 1974

" We have mentioned that the name Christus is an unusual one. As a patronymic its origin is obscur and can only be guessed at. It has been reasonably suggested that such a name, like English Cooper or Smith, might once have designated a profession — in the present case that of a painter and/or carver of religious images and such names as 'Ian de Christmas man' or 'Hendrik de Ihesus backere' have been adduced in support. Should the manufacture of such images have been the family profession, handed down as seems likely from one generation to the next like the name Pieter itself, we can fairly assume that the son learned his trade at his father's side. "

" Nous avons mentionné que le nom Christus est inhabituel. Comme patronyme, son origine est obscure et ne peut être que devinée. Il a été suggéré raisonnablement qu'un tel nom, comme l'anglais Cooper ou Smith, pourrait avoir désigné une profession — ici celle de peintre et / ou de sculpteur d'images religieuses et des noms tels que ' Jean du Christ' ou 'adepte (?) de Hendrik de Ihesus' ont été évoqués. Si la fabrication de ces images fut la profession familiale et qu'il semble probable qu'elle fut transmise d'une génération à l'autre, ainsi que le nom Pieter lui-même, nous pouvons supposer que le fils a appris son métier de son père. "

 

 

Petrus Christus, en mal d'inspiration ?

 

1- Madone de Jan Vos, dite Vierge au Chartreux - 1441-1443
Frick Collection - New York : attribuée à Jan van Eyck

2- La Vierge d'Exeter, ditebVierge au Chartreux - 1450
Gemäldegalerie - Berlin
: attribuée à Petrus Christus

Le donateur est repris textuellement par Petrus Christus !

 

1- Paul PHILIPPOT écrit (La Peinture dans les anciens Pays-Bas (p. 109):

L'image comme image. Copies exactes et visions

" La prise de conscience de l'image comme image est aussi à l'origine d'un phénomène caractéristique de la fin du XVe siècle dans les Pays-Bas méridionaux : les copies exactes.

Si l'imitation de modèles avait toujours joué un rôle important dans l'art médiéval, où elle constituait une démarche créatrice normale, conforme à une culture encore rigoureusement traditionnelle, elle y impliquait toujours une réinterprétation libre et spontanée du modèle.

Cette fois au contraire, la valorisation de l'image comme telle fait saisir en elle non plus l'idée, le schéma typologique, mais telle formulation particulière qui, dès lors, mérite d'être reproduite pour elle-même.

La datation précise de ces copies littérales, et parfois même leurs distinction de l'original, restent un problème très délicat, qui mériterait une étude d'ensemble. Le plus ancien exemple daté, si l'on en croit les documents d'archives, est à notre connaissance la copie de la Descente de croix de van der Weyden conservée à l'église Saint-Pierre de Louvain et connue sous le nom de triptyque Edelheer, qui remonterait, d'après les textes, à 1443.

Proche de cette date est la Vierge au chartreux de Petrus Christus du musée de Berlin, dont le donateur est repris textuellement à la Madone de Jan Vos attribuée à Jan van Eyck et actuellement à la Frick Collection de New York.

L'attribution au même Petrus Christus des deux exemplaires du Saint François recevant les stigmates mérite d'être étudiée avec attention. "

 

2- Le Jugement dernier

1- Jan van Eyck - Le Jugement dernier (1420-1425) - Metropolitan Museum of Art - New York
2- Petrus Christus - Le Jugement dernier - Gemaldegalerie - Berlin

 

3- Gilles CHAMBON, Le paysage urbain dans la peinture au Moyen-Âge et à la Renaissance, L'émergence d'une esthétique fractale
http://erewhon.free.fr/paysageurbaindanspeinturelt.pdf

Jan Van Eyck - La Vierge au chancelier Rolin
1435 - Musée du Louvre

 

" La Vierge d'Autun et son paysage urbain dut faire forte impression sur les générations de peintres qui suivirent, mais peu d'artistes s'essayèrent à recomposer une ville imaginaire d'une telle ampleur. Ainsi les quelques tableaux dont la composition s'inspire directement du chef d'œuvre de Jan van Eyck n'essaient pas de se mesurer à lui en ce qui concerne le paysage urbain :

— d'abord la Vierge de Jan Vos (New York, Frick Collection), commencée par van Eyck lui-même, mais terminée (en particulier pour le paysage) par Petrus Christus ; la partie droite du paysage urbain y reproduit certains fragments du paysage de la Vierge d'Autun (comme le pont et la barque), mais abandonne la complexité du tissu urbain mineur.

 

— La Vierge d'Exeter (1450, conservé à la Gemäldegalerie de Berlin) autre tableau de Petrus Christus qui représente le Prieur Jan Vos vénérant la Vierge, et qui reprend également beaucoup d'éléments à la Vierge d'Autun, comporte un paysage urbain plus original que le précédent ; le tissu mineur est bien présent, et on retrouve l'esprit de la partie "faubourg" de la Vierge au Chancelier Rolin ; mais si on devine la Häusermeer, on n'en voit qu'un tout petit fragment … "

Un joli site pour des gros plans :
http://kerdonis.fr/ZCHRISTUS01/index.html

 

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Pour conclure, je vous offre ce merveilleux tableau, cette manière si délicate et inattendue de nous offrir une Annonciation. Cette sortie des sentiers tant battus. Sortir du cadre des colonnes en enfilade, ouvrir le jardin, déliter ce mur comme le premier coït ouvre l'hymen. Plongée abrupte mais douce sur cette rencontre au seuil de la maison, l'Enfant déjà "en marche". La légende devient moins austère...

 

 

 

 

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