PAVIE 2

 

 

Athéna : pourquoi Jean Perréal a-t-il pensé à elle ?

Dans son Introduction à la philosophie du mythe (tome 1 : Sauver les mythes, Vrin, 1996 et 2005, pp. 194-197), Luc Brisson retrace la réapparition des dieux antiques :

" La Renaissance a recueilli et développé les diverses interprétations des dieux proposées au Moyen Âge : sur ce plan en tout cas, la Renaissance est largement redevable au Moyen Âge. Si cette continuité a été généralement méconnue, c'est que, dans l'intervalle, la forme des dieux antiques s'était dégradée ; ils étaient devenus méconnaissables.
Les dieux antiques redeviendront ce qu'ils étaient grâce au travail d'érudits qui éditeront, traduiront et commenteront les textes grecs qui n'étaient pas disponibles au Moyen Âge, ou qui publieront et expliqueront les nombreuses représentations figurées qu'ils avaient pu découvrir. Par ce perpétuel mouvement de va-et-vient entre les travaux des érudits, des historiens et des philosophes et les œuvres des artistes de toutes sortes : sculpteurs, peintres, graveurs etc., l'allégorie s'aventure hors des limites du langage et s'impose dans le domaine des représentations figurées. " (p.191-192)

Ainsi, toute l'œuvre d'Homère était à redécouvrir.

" Au cours du Moyen Âge, les héros de la guerre de Troie étaient considérés comme des ducs, des comtes, des chevaliers ; et leurs aventures et leurs personnalités étaient connues non pas à travers Homère, mais par l'intermédiaire d'Ovide, de Virgile, de Stace, de Dictys, de Darès, de Benoît et de Guido. L'Iliade médiévale se réduisait à un Pindarus Thebanus de bello Trojano, un résumé du poème épique en 1100 mauvais hexamètres latins. "

Pilate, à la demande de Boccace, avait réalisée une traduction en prose d'Homère. Mais, Homère ne fut pas vraiment lu en Occident avant qu'Angelo Politiano n'eût entrepris de terminer la traduction de l'Iliade commencée par Carlo Marsuppini. Encore, n'alla-t-il pas au-delà du livre V.

On ne lisait Homère que pour y trouver un enseignement moral. Il en était de même pour l'édition : Chalcondyles et Acciaiuoli, dans l'édition de Florence en 1488, incluent le discours sur Homère de Dion Chrysostome, la biographie d'Homère attribuée à Hérodote et la Vie et la poésie d'Homère attribuée à Plutarque. Les éditions et traductions d'Homère ultérieurement publiées s'enrichirent de commentaires allégoriques de plus en plus nombreux.

" Le mouvement culmina avec la publication des Questions homériques et de L'Antre des nymphes de Porphyre en 1531 […]
D'autres érudits abordaient Homère non d'un point de vue littéraire plus ou moins moralisé, mais d'un point de vue historique, en utilisant des arguments inspirés de l'évhémérisme. […]
Un troisième groupe d'érudits établissait toutes sortes de parallèles entre Homère d'une part, l'Ancien et le Nouveau Testaments d'autre part. Quelques-uns même trouvaient chez Homère des traces de doctrines chrétiennes, découverte qu'ils avaient réussi à faire chez Platon, Sénèque, Orphée, Virgile et d'autres auteurs grecs et romains. "

" Une interprétation historique : l'évhémérisme

Au début du 16e siècle, l'interprétation évhémériste était connue à travers l'usage qu'en avaient fait ses sectateurs païens et les Pères de l'Église qui y avaient eu recours. Mais la prétendue découverte par Giovaoni Nannio de Viterbe [Antiquitatum varirum volumina XVII, Paris, 1512] d'historiens très anciens, supposés avoir été perdus, présentait d'autant plus d'intérêt pour ceux dont la ferme intention était de démontrer que la mythologie grecque dans son ensemble pouvait en définitive s'expliquer par une distorsion de l'histoire volée à Moïse. Parmi la douzaine d'auteurs " retrouvés " par Nannio, on comptait la prétendue Histoire des Chaldéens qu'aurait écrite Bérose de Babylone. En dépit de doutes émis par certains sceptiques, ce faux fut largement utilisé jusqu'au 18e siècle ; et on se référa systématiquement à sa chronologie.
L'idée qui présidait à cet immense effort était la suivante : à l'aide de recherches étymologiques et en utilisant des biographies comparées, on pouvait montrer que l'Ancien et le Nouveau Testaments se trouvaient derrière les doctrines, les cultes et l'histoire des autres religions. " (pp. 213-214)

Le premier à proposer une interprétation évhémériste cohérente fut Jean Lemaire de Belges, qui publia à Paris en 1512 son ouvrage Illustrations de Gaule et singularitez de Troye qui fut réimprimée plusieurs fois.

Jean Perréal a donc pu lire Homère soit en grec (mais le savait-il ?), soit dans une traduction, rapportée d'Italie par exemple.

Athéna : comment la reconnaître ?

Athéné, la fille de Zeus porte-égide, laisse couler sur le sol de son père la robe souple et brodée qu'elle a faite et ouvrée de ses mains. Puis, enfilant la tunique de Zeus, assembleur de nuées, elle revêt son armure pour le combat, source de pleurs. Autour de ses épaules, elle jette l'égide frangée, redoutable, où s'étalent en couronne Déroute, Querelle, Vaillance, Poursuite qui glace les cœurs, et la tête de Gorgô, l'effroyable monstre, terrible, affreuse, signe de Zeus porte-égide. Sur son front, elle pose un casque à deux cimiers, à quatre bossettes, casque d'or, qui s'orne des fantassins de cent cités. Elle monte enfin sur le char de flamme et saisit sa pique, la lourde, longue et forte pique sous laquelle elle abat les rangs des héros contre qui va sa colère de fille du Tout-Puissant.
Homère, Iliade, chant V

amphore du "peintre de Berlin" - collection Ciba - Bâle

 

Le second demi-chœur :
Ô Pallas, protectrice de la cité, souveraine de cette terre la plus sacrée de toutes, et qui l'emporte sur toutes par les armes, les muses et les richesses, viens au milieu de nous, accompagnée de notre collaboratrice dans les expéditions guerrières, la victoire, qui va nous accompagner dans les chœurs et se mettre de notre côté contre nos ennemis. Allons, viens ; montre-toi maintenant, car il faut qu'aujourd'hui plus que jamais tu procures la victoire à notre troupe.
Aristophane, Les Cavaliers

http://fr.wikipedia.org/wiki/Ath%C3%A9na

La Dame est grande : la plupart des statues grecques d'Athéna étaient de grandes statues : celle sculptée par Phidias, dans l'Hécatompédon du Parthénon était, selon Pline l'Ancien, haute de 26 coudées soit environ 11,50 m, probablement avec la base.

Sa robe est chargée d'or et doublée d'hermine blanche : la statue d'Athéna sculptée par Phidias, et pour laquelle après avoir été confondu de détournement de matériaux précieux, il a été condamné à l'exil, était Chryséléphantine, c'est-à-dire en grande partie recouverte d'or et d'ivoire. L'hermine est la symbole de la chasteté (Athéna se voulait d'une virginité farouche) et sa présence près de la corne de la licorne semblable à un glaive ou à une lance fait du portrait de la Dame une variation sur le thème de la " juste verge " qu'était Athéna. Certaines spirales sur la robe de la Dame évoquent-elles les serpents lovés sur celle d'Athéna ou sur son écu ?

La Dame a les yeux agrandis et fixes : Athéna foudroyait ses ennemis du regard. C'était la déesse aux yeux pers qu'Homère n'omet jamais d'appeler au secours de ses protégés.

Ses magnifiques cheveux blonds, serpentaires, tombent sur ses reins : cette forme de coiffure en escaliers est typique de la statuaire grecque et particulièrement des statues d'Athéna parfois appelée la déesse à l'opulente chevelure. Elle a le serpent pour attribut (référons-nous aux mythes de Kécrops, d'Erichthonios, de Laocoon). Chaque mois, selon Hérodote, des gâteaux de miel sont offerts au grand serpent sacré, " le gardien de l'Acropole ", vivant dans son sanctuaire. Euridipe signale aussi l'usage à Athènes de faire porter de petits serpents aux nourrissons, à l'image d'Erichthonios materné par Athéna.

Chevelure de serpents, signe de discorde. la Dame est Athéna, la déesse grecque, de la guerre mais aussi de la sagesse et de la raison. Grande, mince, majestueuse, femme virile, elle se dresse fièrement sur son île - champ de bataille. Jamais la Dame n'a été représentée ainsi. La reviviscence de l'étude de l'Antiquité et des emprunts à ses arts peut être datée de la découverte du marbre hellénistique du Laocoon à Rome en 1506.

Athéna portant la tête de Méduse
sur sa tunique - Vase d'Etrurie

Examinons attentivement le diadème que porte la Dame. Il présente deux excroissances aiguës qui l'apparentent au diadème qu'Héphaïstos a, selon la mythologie, ciselé pour Athéna et que les artistes grecs ont représenté.
La vierge de l'Acropole aux yeux pers est bien ainsi femme séduisante, mais aussi et avant tout, obrimopatrè (au dire d'Hésiode), " fille du dieu fort ", Zeus, qui l'a dotée de ses pouvoirs et de ses attributs.
Sur les autres tapisseries, les cinq de la série initiale, Mary ne porte pas de couronne ou de diadème. (George Sand écrit qu'elle " porte un turban " sur l'un des deux Trônes disparus ; que portait-elle sur l'autre ?)

 

L'effigie (le xoanon), " pièce de bois brute non travaillée ", représentant Athéna, était richement habillée et parée d'ornements, le tout constituant le kosmos :
- un voile, le peplos annuel mis sur le métier neuf mois avant les cérémonies par deux jeunes filles désignées par le roi parmi quatre jeunes Athéniennes de 7 à 11 ans, de " bonne naissance ", les ergastines
- de luxueux bijoux : une couronne ou diadème d'or aux nombreuses ciselures, des pendants d'oreilles, de nombreux colliers
- les insignes tous en or pour fasciner et terrifier : la chouette, l'égide au centre de laquelle était placée une tête grimaçante de Gorgone, le gorgoneion.

Athéna est qualifiée de Tritogénia car elle représente la raison qui est mère des trois opérations essentielles de l'esprit : la réflexion, la parole et l'action.

Pour moi, il s'agit bien de l'image d'Athéna sortie armée du crâne de Zeus, la lance à la main et l'Egide, son bouclier en poils de chèvre, au côté. Athéna, 'la meilleure moitié' de Zeus, selon l'expression de Richard Khaitzine. Quelle que soit les hypostases d'Athéna, qu'elle soit Polias, Archêgetis, Poliouchos, Promachos, Parthénos, Nikè, Skiras, Hygieia ou Erganè, elle est toujours dotée d'au moins un de ses attributs guerriers : l'égide, le casque, la lance ou le bouclier. La Dame tient à la fois la lance française d'Antoine Le Viste et la lance d'Angleterre figurée par la corne de la Licorne. Les Egides - boucliers aux armes des Le Viste sont transcendées par les animaux qui les ceignent : la Licorne symbolise Henry VIII et le Lion Charles Quint.

Les Dieux de l'Olympe s'affrontaient aussi, Au chant XXI de L'Iliade, Homère narre la victoire d'Athéna sur Arès :

Zeus s'interpose entre Athéna et Arès
cratère à volutes de Nicosthénès - British Museum

" Cependant parmi les autres divinités se précipite la discorde cruelle, implacable, et dans tous les cœurs s’agitent des sentiments contraires. Les dieux s’attaquent en poussant d’horribles clameurs ; la terre profonde en mugit : du haut des cieux la trompette a sonné, et Zeus l’entend, assis au sommet de l’Olympe ; il sourit, et son cœur tressaille de joie quand il voit tous les dieux livrés à la discorde : ceux-ci ne se contiennent pas plus longtemps ; Arès, qui brise les boucliers, commence le combat ; d’abord armé d’un javelot d’airain, il fond sur Athéna, et lui tient ce discours outrageant :

-— Pourquoi, déesse imprudente, entraînes-tu les dieux à la guerre, toi revêtue d’une audace indomptable et qu’anime une violente ardeur ? Ne te souvient-il plus du jour où tu excitas le fils de Tydée à me blesser ? N’est-ce pas toi-même qui, saisissant la lance brillante, et, la poussant contre moi, as déchiré le corps d’un dieu ? Ah ! c’est maintenant, sans doute, que tu vas payer tout le mal que tu m’as fait.

En disant ces mots, il frappe la redoutable égide, ornée de franges d’or, et que ne pourrait briser la foudre même de Zeus : c’est là que frappe Arès avec sa longue lance. La déesse recule de quelques pas, et de sa forte main saisit un noir rocher qui gisait dans la plaine, masse énorme et raboteuse que les hommes des anciens âges posèrent pour être la limite d’un champ : Athéna la jette, frappe le cou d’Arès, et le prive de sa force ; en tombant il couvre sept arpents de terre ; la poussière souille sa chevelure, et ses armes retentissent autour de lui. Pallas sourit à cette vue, et, triomphante, elle laisse échapper ces paroles rapides :

— Insensé ! Ne sais-tu pas combien je me glorifie de l’emporter sur toi, pour oser mesurer ta force à la mienne ? Ainsi puisses-tu expier les imprécations de ta mère, qui, dans son courroux, te prépare de nouveaux malheurs, puisque tu as abandonné les Grecs, et secouru les Troyens parjures.

En parlant ainsi Athéna détourne ses yeux étincelants ; alors Aphrodite, la fille de Zeus, prend par la main Arès, qui pousse de profonds soupirs et ne rappelle ses esprits qu’avec peine. "


Cette tapisserie Pavie participe de la revendication des bourgeois anoblis à prendre part, eux aussi, au pouvoir, comme " le rhéteur s'attache à faire de l'Athènes antique le modèle de la constitution mixte, mélange harmonieux où cependant l'aristocrate domine : dotée de la constitution des ancêtres, don d'Athéna approuvé par Apollon, la cité est gouvernée par l'heureuse conjonction de la vertu des Aréopagites et de le bonne volonté du peuple. " (Nicole Loraux, L'Invention d'Athènes, Payot, 1981)

 

Athéna

Il lui arrivait de descendre sur terre, parmi les humains. Humaine elle-même, sur les champs de bataille, dans les villes, elle découvrait la mort qu'elle ne connaîtrait jamais. Aux Troyens, elle préféra les guerriers grecs de son Attique. Elle permit à Achille de tuer Hector et veilla sur Ulysse, marin au capricieux périple, après lui avoir suggéré l'idée du " cheval de Troie ".

Aux humains, elle voulut faire don de l'olivier jusqu'alors inconnu, le dressant ainsi, dans nos paysages étincelant de lumière, invincible et immortel. Sophocle évoque ses yeux de la même couleur que les feuilles permanentes de l'olivier. Nous aurait-elle donc donné la prunelle de ses yeux ? Glaukos, couleur qui allie le vert et bleu, le blanc et le gris. Déesse aux yeux pers, Athéna glaukopis. Vigilance. Une vision de chouette, perçant les secrets de l'âme humaine, chemin de l'enseignement et de la connaissance.

Les Romains la nommèrent Minerve.

Plus tard, en des temps monothéistes, la Panghia, la Vierge Très Sainte, occupera son trône, accaparant même son titre de Platytéra tôn ouranôn, la Plus Vaste des Cieux, qu'Athéna lui abandonna, humblement. Elle aussi avait été considérée comme la mère de tous : les Athéniens la remerciaient d'avoir élevé Erichthonios, leur ancêtre, premier habitant d'Athènes. Erichthonios, que deux serpents gardaient, fils de la déesse Terre, né du sperme d'Héphaïstos répandu dans la lutte sur la jambe d'Athéna que cette dernière jeta à terre après l'avoir essuyé avec de la laine.

Athéna n'est pas toujours représentée en " petite Hélène " svelte et tentatrice. Son second prénom est Chryséléphantine. Gigantisation de la divinité. Elévation et toute puissance. Une des douze divinités de l'Olympe. En touchant au ciel, on devient la Très-Haute, on s'égale au père Zeus. N'est-on pas née de son crâne. Toute armée. Le cri de guerre s'extirpant des poumons dépliés. Un garçon manqué !

Au Musée national d'Athènes, se trouve la réplique romaine en marbre de la grande statue réalisée par Phidias pour le Parthénon entre - 447 et - 432. Œuvre disparue pour nous à jamais mais dont nous parlent des documents anciens qui décrivent une statue en bois de 12 mètres de haut, entièrement recouverte de matières précieuses : armure et vêtements en or, peau de la déesse en ivoire. Des rehauts de couleurs, des yeux scintillants. Des griffons sur le casque d'or et des serpents aux yeux de pierreries enroulés contre l'écu. Effroi et mystère, mais aussi puissance et calme, grandeur et majesté.

Avec la Dame en Athéna, via Anne de Bourbon, on entre dans ce que Gaston Bachelard nomme dans " le complexe d'Atlas ", " la contemplation monarchique " dans laquelle le sujet amoindrit le monde pour exalter des ambitions ascensionnelles. Et l'on n'a pas tort d'évoquer à propos de la tapisserie Pavie que cette hampe-sceptre est aussi verge-phallus. En certains jours de fêtes en son honneur, des gâteaux en forme de serpents et de phallus étaient offerts.

C'est bien elle, la déesse " au casque d'or ", dressée monumentale au centre de Pavie. Du monde chthonien où se coule le serpent à l'azur ouranien que conquiert le vol de l'oiseau. Sa chevelure, lumière d'or, serpente le long de son corps, si anormalement longue. Hauteur, lumière : domination du symbole solaire. A cette heure, tant de déceptions oubliées, d'affronts lavés. Le héros solaire est un guerrier violent. Son homologue féminine tout autant.

C'est bien elle, la Promachos, la déesse-guerrière qui combat au premier rang. A la main droite, l'étendard devenu lance meurtrière ; l'Egide ? une robe de velours bleu noir doublée d'hermine qu'encadrent les " serpents " des cheveux et des anneaux entrelacés du collier. Le gorgonéion, l'effrayant bouclier à la tête de Méduse, est bien là sous la forme, pour la première fois, de deux écus ; la couronne-casque, pour la première fois aussi, ceignant la tête. Elle a vaincu, regardez les entraves que portent les animaux du fond. Sur un portrait de Nicolas de Modène, François 1er porte l'Egide. Que ne l'eût-il à Pavie ?

C'est bien elle, la maîtresse de l'Esprit et de la Sagesse, la Parthenos farouchement vierge (pensons à Pénélope), déesse du tissage qui voulut se mesurer à la jeune Arachné. En ces temps, trop de prétention et d'outrance conduisait à la mort, pendue à un fil ; pire, à l'animalité. Le destin de l'une était araignée, la destinée de l'autre de régner.

C'est elle qui représente la patrie en danger, à l'égale de Germania, Marianne (Marie-Anne, couple de vierges ?) ou Albion.

Le 7 mars 1525, Paris apprend le désastre de Pavie. Antoine se démène.

" Pour exciter les autres à faire leur devoir, Jean de Selve premier president, & Antoine le Viste president s'offrirent à monter la garde aux portes, les premiers, dès le lendemain. Il fut enjoint au prevost des marchands & au lieutenant criminel d'envoyer deffendre à tous ceux qui tenoient hostelleries, d'y loger qui que ce fust, sans en avertir la cour, l'archevesque d'Aix, ou le prevost des marchands, & d'ordonner aux quarteniers de sçavoir, chacun en son quartier, combien il y avoit de gens en chaque maison & qui ils estoient, & d'en faire leur rapport chaque jour au prevost des marchands & aux eschevins. Il fut aussi reglé que chacun des commissaires seroit accompagné de dix sergens, pour empescher qu'il n'y eust aucun émeute dans la ville ; & que le prevost & les eschevins feroient mettre en estat l'artillerie de la ville."

Si sa présence ressuscitée fait de cette tapisserie Pavie une célébration de victoire, à aucun endroit des six tentures de La Dame n'est évoquée, à mon sens, la Marie chrétienne à laquelle Antoine Le Viste et son ami peintre croyaient peut-être encore. Mary, Dame de Beauté, appelle un autre amour (et un souvenir douloureux), plus terrestre, qui ne saurait mourir.

L'Oracle

Jean : qui a été plus aimé que moi ?
Athéna : Personne.
Jean : Qui a été plus haï que moi ?
Athéna : Personne.
Jean : Et toi que penses-tu de moi ?
Athéna : Je suis née grecque. Je suis l'aînée. Je suis le nez de l'année. Je suis le mur, l'art mûr, l'armure. Je suis la sève héritée. Je suis lasse et vérité. Je suis la sévérité. Je suis la cruelle crue elle. L'aile des rues et des ruelles. Mes mensonges c'est vérité. Sévérité même en songe. Je suis le mythe, la railleuse. La mitre à yeux, l'amie trahie. La lance affront, le front à lance. Je suis la moelle, je suis le sort. De moi l'art sort à ressort. Je dis : l'art meut l'arme des larmes. Le rail du mythe…
(elle s'arrête)
Jean : Et moi ? Que penses-tu de moi ?
(il pousse une pièce dans la fente.)
Oracle :
Tes cris, même sous les tortures
Sont cris écrits l'orgueil aidant.
La mer se change en écriture
Dès qu'on jette l'encre dedans.

Jean Cocteau, Opéra.

 

Anne de Bourbon fut son égale mortelle. Tour à tour pacifique et guerrière ; sage et modérée, éloignée de tout mysticisme ; intelligente, active, inspiratrice des arts et protectrice des artisans ; pédagogue industrieuse.

 

Athéna : comment expliquer sa présence ?

Le Père des dieux et des hommes sourit. Il appelle Aphrodite d'or et lui dit : -— Ce n'est pas à toi, ma fille, qu'ont été données les œuvres de guerre. Consacre-toi, pour ta part, aux douces œuvres d'hyménée. A celles-là, Athéné et l'ardent Arès veilleront.
Homère, Iliade, chant V

Si les sept premières tapisseries de La Dame peuvent être rattachées aux scènes qu'Arachné a tissées lors de sa compétition avec Athéna (les amours des dieux), la huitième est résolument celle d'Athéna qui se campe elle-même, victorieuse.

Arachné se vante de son tissage auprès d’Athéna
illustration de Épître à Othéa
(KB 74 G 27, fol. 59v), v 1450-1475

Ovide, Métamorphoses, Livre VI, La métamorphose d'Arachné, châtiée pour impiété (6, 1-145)
Traduction et notes de A.-M. Boxus et J. Poucet, Bruxelles, 2006.
http://bcs.fltr.ucl.ac.be/metam/Met06/M-06-001-145.htm

 

La bataille de Pavie, pour le peintre et son commanditaire, est assimilée à toute guerre antique : deux camps opposés, l'un " sauvage " et " impie ", l'autre " juste ", placés sous l'aide et la protection antithétiques de Dike et Húbris, d'Athéna et d'Arès.

Cette tapisserie Pavie célèbre la victoire " juste " et " légitime " de Dike (fille de Thémis et de Zeus, déesse de la justice, des usages et des coutumes) et d'Athéna Chrysolopha (" au cimier d'or ", Palladion immobile, en armes) sur Húbris (Hybris est une divinité allégorique personnifiant l'hybris, notion grecque traduisible par " démesure ", sentiment violent inspiré par les passions et par l'orgueil), accordant ainsi, de façon triomphante, une gloire militaire et politique à la femme. La noble France, toujours guerrière et redoutable en cas de nécessité, se montre aussi rassurante comme la divinité convoquée ici, tour à tour Promakhos (" qui combat au premier rang ", reconnaissable par la grande enjambée qu'elle amorce) Sthenias (la Puissante), Areia (la Belliqueuse) ou Parthénos (" jeune fille et vierge "). Tour à tour, Homère les chantait ainsi :

La déesse aux yeux pers, Athéné, lui répond :
-— Je suis venue du ciel pour calmer ta fureur : me veux-tu obéir ? Héré, m'a dépêchée, qui, en son cœur, vous aime et vous protège également tous deux. Allons ! clos ce débat, et que ta main ne tire pas l'épée. Contente-toi de mots, et, pour l'humilier, dis-lui ce qui l'attend. (Iliade, chant I)

Athéné a l'égide vénérée, l'égide que ne touchent ni l'âge ni la mort, et dont les cent franges voltigent au vent, les franges tressées, tout en or, dont chacune vaut cent bœufs. L'égide à la main, partout présente, elle va à travers l'armée des Achéens, les poussant tous de l'avant ; et, au cœur de chacun, elle fait se lever la force nécessaire pour batailler et guerroyer sans trêve ; et à tous aussitôt la bataille devient plus douce que le retour sur les nefs creuses vers les rives de la patrie. (Iliade, chant II)

La présence virile d'Athéna s'apparente ici, en écho, à ce que Nicole Loraux (Les Enfants d'Athéna, Maspéro, 1981) énonce au sujet de l'andreia, le soldat - citoyen : " Porter le nom d'Athéna : façon tautologique pour un Athénien de dire sa citoyenneté. "

Regardons Pavie comme un discours aux morts à la mode athénienne antique. Le désastre de Pavie, c'est 5 000 morts, 15 à 20 000 prisonniers français rançonnés ou relâchés, livrés aux aléas des routes et de la faim en cet hiver 1525. " Une grande partie de la noblesse française, et la plus nationale si l'on entend par là celle qui aimait le moins l'Italie d'amour romanesque, va engraisser les prairies lombardes. Ce qui était homme et chargé de destins, après ce jour-là devient un peu de fumure malodorante. " conclut Jean Giono (Le Désastre de Pavie : 23 février 1525, Gallimard, 1963).
L'arrière garde commandée par le duc d'Alençon n'est pas intervenue et se replie. Les Espagnols massacrent sans retenue les groupes isolés, les blessés, les fuyards. Les seigneurs, entassés dans les maisons de Pavie et alentours, seront eux rançonnés. Clément Marot, notre doux poète, y fut blessé au bras, dit la légende (que reprend Abel Grenier dans son édition des œuvres complètes en 1920). Si le père, Jean Marot, était à Marignan, le fils n'était pas à Pavie selon Roger Parisot en 1996 qui avance que seul le poème Elégie première de 1525 (que l'on considèrera comme un des epitáphioi post-Pavie) a pu le faire longtemps croire. Jugeons-en sur pièce :

 

…Que diray plus du combat rigoureux ?
Tu sçais assez que le sort malheureux
Tomba du tout sur nostre nation ;
Ne sçay si c'est par destination,
Mais tant y a que je croy que Fortune
Desiroit fort de nous estre importune.
Là fut percé tout oultre rudement [percé de part en part]
Le bras de cil qui t'ayme loyaument ;
Non pas le bras dont il a de coustume
De manier ou la lance ou la plume : (le bras gauche est blessé ?)
Amour encor le te garde et reserve,
Et par escripts veult que de loing te serve.
Finalement, avec le Roy mon maistre
Delà les monts prisonnier se veit estre
Mon triste corps, navré, en grand' souffrance.
Quant est du cueur, long temps y a qu'en France
Ton prisonnier il est sans mesprison.
Or est le corps sorty hors de prison…

Mais s'il advient que la guerre s'esbranle,
Lors conviendra danser d'un autre branle :
Laisser fauldra boys, sources et ruysseaux,
Laisser fauldra chasse, chiens et oyseaux,
Laisser fauldra d'Amours les petitz dons,
Pour suyvre aux champs estandars et guydons. [drapeaux]
Et lors chascun ses forces reprendra,
Et pour l'amour de s'amye tendra
A recouvrer gloire, honneur et butins,
Faisant congnoistre aux Espaignols mutins
Que longuement Fortune variable
En un lieu seul ne peult estre amyable…

Amour a faict de mon cueur une bute, [une fin ?]
Et guerre m'a navré de haquebute : [arquebuse]
Le coup du bras le montre à veue d'œil ;
Le coup du cueur se monstre par son dueil.
Ce nonobstant, celuy du bras s'amende ;
Celuy du cueur, je te le recommande.

 

Une " oraison funèbre " aux morts du champ de bataille de Pavie qui permettrait d'expliquer la présence d'Athéna dans cette tapisserie à coloration politique.
Un " discours civique " sans aucun mot, mais terriblement " bavard " (pour qui veut bien abandonner le discours traditionnel et frileux des Cinq Sens bridés) pour énoncer la parole du pays meurtri.
Un " discours - spectacle " et une " louange " esthétique dessinés et tissés dans le même esprit de " beauté " que ses sept sœurs plus âgées de dix ans. Pour dénoncer certes, mais charmer tout autant.
Un discours à la rhétorique triomphante des aèdes antiques : éloquence métaphorique pour célébrer la gloire des vainqueurs (la licorne et le lion), fustiger le perdant (les animaux entravés) et rappeler le passé glorieux du royaume sous les traits d'Anne de France. Pavie représente, par homonymie, le royaume de France par une des ses anciennes régentes, comme les Athéniens se plaisaient à donner à leur cité la figure d'Athéna (hors l'oraison funèbre antique où la cité était sans figure).

 

Lire sur le site suivant : l'oraison funèbre prononcée par Périclès, stratège, pendant l'hiver de l'année -431, en l'honneur des guerriers morts au combat au cours de la première année de la Guerre du Péloponnèse qui opposera Athènes à Sparte pendant presque 30 ans. (Dans Thucydide, Livre II, I, 34-46)
" Ayant devant lui des gens émus, sous prétexte de rendre hommage à leurs disparus, il leur donne des règles de conduite " (Marie Delcourt-Curvers). Il fait l'éloge d'Athènes, de ses institutions et des ses héros, montrant que pour lui Athènes est un exemple à suivre pour la Grèce et même pour l'humanité tout entière.
http://remacle.org/bloodwolf/textes/thucyeloge.htm

 

L'île commune jusqu'ici consacrée à Mary Tudor, perdant son insularité, s'apparente ici au téménos, l'enclos sacré que s'aménage l'Athéna Polias primitive (" la protectrice de la cité ") sur l'Acropole, la colline sacrée des origines, sous le signe de la pureté, de la chasteté et du civisme. Coïncidence si, dans le Zodiaque, la Vierge est entre le Lion et la Balance (dont la corne de la licorne serait ici le fléau) ?

La Dame est aussi Pallas, " la vierge libre du joug, la gardienne de notre cité qui seule y détient visiblement le pouvoir et qui a nom Porte-clefs. " (Aristophane, Thesmophories) Ce sont les clefs qui délivreraient les deux singes entravés et leurs comparses carnivores, métaphores animales de la prison madrilène aux verrous mis.

Athéna (j'avance ici une hypothèse hardie) signale peut-être aussi l'acceptation d'Antoine Le Viste de n'avoir pas de fils. Athéna, fille (sans mère) du père des dieux et des hommes, qui eut le pouvoir de " donner son unité à ce complexe mythique fondant l'orthodoxie athénienne, en matière de naissance et de citoyenneté " (Nicole Loraux), vaut bien tous les fils possibles. Jeanne, la fille d'Antoine, mit au monde Florimond, comblant ainsi le désir de descendance de son père, comme Athéna fut à l'origine d'Erichthonios, le roi primordial d'Athènes, qu'elle éleva. Amour de Zeus pour Athéna, amour d'Antoine Le Viste pour sa fille Jeanne. Antoine, comme Zeus, fut aussi " mère " quand il dut élever seul sa fille dès l'âge de dix ans environ. En acceptant Erichthonios, l'ancêtre autochtone (si l'on excepte Kécrops, premier roi de l'Attique selon Pseudo-Apollodore, né directement du sol, autochtone donc au sens le plus concret du mot, monstre anguipède au corps mi-homme mi-serpent, dont Athéna s'assura le témoignage complice contre Poséïdon) des Athéniens né de la terre (Gé) et de la sexualité (du désir sexuel d'Héphaïstos pour Athéna, vierge inébranlable, dont on connaît la résistance à la puissance du désir), Athéna, mère de substitution, instaure l'ordre civique et la lignée royale. Elle se pose aux yeux d'Antoine comme un exemple de paternité accomplie en dépit des aléas.

Athéna est sortie armée et casquée du crâne de son père Zeus délivré de ses douleurs par le tranchant adroit de la hache du dieu artisan Héphaïstos, en poussant un immense cri de guerre. Cette naissance " métallurgique " d'une vierge virile peut avoir attiré la présence de la déesse dans les croquis de Jean Perréal, sensible aux éléments communs entre le mythe antique et l'alchimie. Serait alors évoquée une des dernières fonctions de la déesse, l'Athéna Erganè (" l'industrieuse "), déesse de l'intelligence appliquée à la matière, qui protège les artisans d'art et les artistes.

 

Le toucher de la corne de la licorne au pouvoir curatif rappelle la fonction de guérisseuse de l'Athéna Hygieia qui apporte la santé. La Pierre philosophale a aussi cette vertu aux yeux des alchimistes.

Les Alchimistes du passé se faisaient appeler fréquemment Chevaliers de Pallas.
http://larocheauxloups.wordpress.com/2009/05/05/promenade-alchimique-dans-paris-avec-richard-khaitzine/

La Dame est également campée dans l'attitude de Hermès Trismégiste (trois fois grand, c'est à dire qui a vécu trois vies) de la mosaïque de la cathédrale de Sienne ; l'un touche les textes du Corpus hermeticum, l'autre la corne blanche de la licorne et la lance bleue. Hermès Trimégiste lui-même, le fondateur mythique de l'hermétisme et un des maîtres à penser des alchimistes médiévaux.

En tant que protectrice et patronne des artisans et des techniques et combattante de l'Ignorance, Athéna - Minerve figure, dans toute l'histoire de l'Art, dans des œuvres diverses (recensées par Pierre Georgel et Anne-Marie Lecoq dans leur livre La Peinture dans la peinture, Adam Biro, 1987) : de sa première apparition sur un vase attique à figures rouges du - 5ème siècle où elle couronne un peintre de vases, à celle plus récente de Charles Meynier (1763-1832), La France, en Minerve, accueille les Beaux-Arts sous l'égide de la paix et la protection de la Force de 1919 visible au musée Magnin de Dijon, en passant par Federico Zuccaro (1542-1609), Nicolas Loir (1624-1670) Sebastiano Ricci (1659-1734), Joseph Sauvage (1744-1818).

Si Athéna représente la " connaissance abstraite et la vie intellectuelle spéculative ", Mercure représente la " connaissance appliquée et la raison pratique. " (p.42) Mercure l'industrieux, voyageur et commerçant habile de ses mains et libre de ses mouvements, dispute à Athéna la place de dieu tutélaire des beaux-arts. Ainsi dans les images des 'enfants de Mercure' peintes ou gravées dans la seconde moitié du 15ème siècle en Italie, en Allemagne et en France où le peintre côtoie le savant, le musicien, le lettré, l'armurier, l'orfèvre, le facteur d'orgue ou le fabricant d'instruments de précision.

L'apparition d'Athéna permet à l'artiste d'exposer son interprétation et celle de son commanditaire des événements dont ils sont les témoins et les acteurs en ces années 1520-1525 et suivantes. La mythologie antique est ici au service d'un double message, chrétien catholique (lutter contre l'hérésie et ceux qui l'acceptent) et politique (juger les coupables de la défaite et gouverner autrement) pour encourager les forces dites "saines" dans leur combat contre les forces 'néfastes'. Il me semble que par la présence de la déesse, Antoine Le Viste expose de manière fortement expressive son affirmation de l'aptitude de sa 'classe' à gouverner et à rassembler les forces 'nationales' dans un nouvel 'Âge d'or'. Dans ce rappel du mythe antiquisant de la Renaissance des cours italiennes de la fin du 15ème siècle (à partir des années 1470) dans le cadre d'une culture humaniste, sont affirmés à mes yeux le prestige, le rôle et le pouvoir économique, civique, judiciaire, politique et religieux du 'Peuple Gras', ce 'quatrième état', la bourgeoisie anoblie.

Mais n'y aurait-il pas contradiction (en tout cas aporie) à nommer défenseure de la religion catholique une déesse païenne antique, Athéna ? Ou bien, une forme de polythéisme est-elle à reconnaître dans la multitude des saintes et des saints groupés autour de la Vierge et de son Fils et dans la multitude égale des ordres religieux et des confréries de tous ordres ? La Prisca theologia et le christianisme que veulent réconcilier la theologia poetica et les acta religionis des néoplatoniciens.

Regardons Athéna dans cette tapisserie Pavie comme le substitut laïc d'une sainte (ou d'un saint) qu'un artiste médiéval n'aurait pas manqué d'installer ici. Selon Claude-Gilbert Dubois (Mots et règles, jeux et délires - Etudes sur l'imaginaire verbal au 16ème siècle, Paradigme, Caen, 1992, p.189), à la Renaissance, " le nouvel objectif de la science n'est plus la gnose ou connaissance de Dieu, mais une exploration qui se veut exhaustive et raisonné du corps maternel disséminé dans les corps matériels … Dans une phase transitionnelle, les saints sont progressivement remplacés par des dieux, repris de l'Antiquité, qui sont autant de métonymies pour désigner 'l'industrie' ou force de production de l'humanité : Jupiter, le maître de l'énergie, Hermès, esprit commerçant, Thot-Hermès et Orphée, les modèles de la nouvelle intelligentsia, Vulcain le forgeron, Asklépios le médecin. C'est là la première étape d'une laïcisation qui se poursuivra par la suite sans l'aide des noms antiques. " Mais certains attributs resteront comme en témoignent les représentations des diverses 'Républiques' ci-dessous.

Reprendre en 1525 le thème et la structure de La Dame initiale pour présenter les malheurs du royaume catholique de France et en dénoncer le/s responsable/s, placer au centre de cette huitième tapisserie une femme, n'est-ce pas, pour le peintre, " refuser le nom de père au principe masculin dévastateur et tyrannique ". Je reprends pour Pavie cette remarque que Claude-Gilbert Dubois consacre, (p. 348 sq) aux Tragiques d'Agrippa d'Aubigné. Une autre œuvre était possible : un tableau, un pamphlet, une tapisserie d'un autre 'style'. Athéna, la vierge farouche, qui refuse l'accouplement et l'amour ! Pour présenter un homme ! La tante de l'homme en question. Bizarre, pour ne pas dire étrange ! Pour Agrippa d'Aubigné, cet autre 'nom-du-père', c'est Dieu. Dans Pavie de La Dame, point de religion, point de déité chrétienne. Uniquement une femme.

Avec la représentation d'Athéna-Minerve, il faut évoquer la "vertu des images" : l'image de la déesse ou du dieu associée à son nom, à ses attributs et à ses exploits surnaturels agiraient sur les forces de l'univers. L'image est 'vue' comme une force venue d'un passé glorieux, elle donne sa force, ses forces, à celui qui la convoque. Re-naissance donc, par la présence d'une divinité considérée comme 'revenante' de la mort, de l'au-delà, du passé. La Dame retrouve en cette tardive tapisserie de 1525 quelques signes de divinité que les sept premières pièces ne possèdent pas à mes yeux. Ressuscitée des temps antiques, elle saura ressusciter ce qui est en voie de périr. Ainsi du royaume en perdition.

Si la présence d'Athéna au centre de cette tapisserie Pavie veut évoquer à mes yeux tout d'abord le connétable de Bourbon via Anne de France, elle peut aussi être l'image de l'artiste qui affrme sa célébrité, son talent et son pouvoir.

Cette présence d'Athéna (dont le visage résolu est à hauteur du faisan et des singes prisonniers) rappelle la lutte des Etats européens contre l'avancée des Turcs et les promesses d'une nouvelle croisade ; elle anticipe un tableau disparu de Bartholomeus Spranger (1546-1625), le peintre de Rodolphe II à Prague que reproduit certainement une gravure de 1597 de Johannes et Harman Muller (Allégorie des Arts, Paris, BN, estampes) qui convoque Jupiter, Minerve, Mercure, la Renommée, la Peinture, la Sculpture, l'Architecture, les rois et princes des Etats d'Occident et des soldats turcs.

Déjà, en 1494, Marsile Ficin, dans une lettre au roi de France Charles VIII, après la louange, lui rappelait qu'il ferait mieux de faire la guerre, non contre ses alliés, mais contre les Turcs dont il redoutait l'invasion.
Comme Dante dans La Monarchie (livre condamné et brûlé en 1329), Ficin approuvait l'impératif d'avoir en Europe un seul pouvoir (l'empereur ou gouverneur du monde), capable en agglomérant les résistances, de s'opposer aux menaces extérieures.
Platon avait déjà évoqué dans Le Politicus ce gouvernement du monde entier : Zeus, seul maître des cieux, voulait sur Terre une royauté à l'image de celle où il trônait. Il avait prescrit l'aide des déesses et des dieux, surtout à Pallas-Athéna (la sagesse) et à Hermès (l'Intelligence).
La tapisserie Pavie rappelle subtilement ce thème platonicien via Marsile Ficin.

Dans son livre La Révolution culturelle dans la France des Humanistes (Droz, 1997), Gilbert Gadoffre étudie au chapitre XI (pp.299-318) 'les métamorphoses de la personne France'. C'est un texte que j'ai découvert après avoir écrit ce qui précède au sujet d'Anne de France et d'Athéna-Minerve.
L'une des premières apparitions d'une allégorie de la France naît sous la plume de Christine de Pisan (1364-v.1430) qui évoque en 1405 dans un texte allégorique en prose, le Livre de l’advision Cristine, ( http://www.ethesis.net/pizan/pizan.htm ) « une dame couronnée ». La première des trois parties de l'œuvre est consacrée à la crise du début du XVe siècle. Christine rencontre dans son rêve l'allégorie Libera, dame couronnée (elle représente la France), toujours belle et jeune malgré ses mille ans d'âge, mère désolée qui se plaint de la situation actuelle. Elle dit que les dames Raison, Chevalerie et Justice (ses dames d´honneur) sont en prison, tandis que Fraude, Luxure et Avarice sont au pouvoir. Situation malheureuse, en contraste avec son passé glorieux. Dame Libera se plaint de ses enfants qui font la guerre par péché de la convoitise : 
« Quelle plus grant perplexité peut venir en cuer de mere que veoir yre et contens naistre et continuer jusques au point d’armes de guerre prendre et saisir par assemblees entre ses propres enfans legittimes et de loyaulx peres, et a tant monter leur felonnie qu’ilz n’aient regart a la desolacion de leur povre mere qui comme piteuse de sa porteure se fiche entre deux pour departir leurs batailles ? »
 
Une autre apparition de la "Dame couronnée" naît aussi d'un rêve, celui d'Alain Chartier (v.1385-1449) narré vers 1422 dans Le Quadrilogue invectif, un entretien en prose, sur un ton véhément, de quatre personnages (La France et les trois ordres, peuple, noblesse, clergé), sur la responsabilité des malheurs du royaume. ( http://fr.wikipedia.org/wiki/Le_Quadrilogue_invectif ) Chartier la peint à la fois grande dame et mère éplorée, cheveux blonds épars, couronne mal ajustée sur la tête, en larmes, le manteau en piteux état, froissé et déchiré. « Querez, querez, Français, les exquises saveurs des viandes, les longs repas empruntez de la nuit sur le jour… Endormez-vous comme pourceaulx en l’ordure et viltez des orribles péchez. Plus vous demourerez, plus approchera le jour de votre extermination. »

Gilbert Gadoffre écrit :
« La France, avec la folie de Charles VI, fait l'expérience d'une vacance de la monarchie. Le civisme des Français a mal résisté à l'épreuve ...
« La guerre de Cent Ans a été pour beaucoup dans la métamorphose d'une personne morale en un être de chair et d'âme, mais la conversion s'est faite le long de lignes de force creusées de longue date par les juristes et les théologiens. La personne France a hérité des appellations traditionnelles de l'Eglise, sponsa et mater, épouse du Christ et mère du peuple chrétien, corps mystique dont Jésus est à la tête ...
« L'image de la Dame couronnée, épouse royale et mère douloureuse de Français querelleurs, indignes d'une filiation aussi haute, suit de près les représentations de l'Eglise sous les traits d'une reine triomphante, sur les porches des cathédrales, et de la Mater dolorosa des sculpteurs et des peintres ...
« Malgré sa robe fleurdelisée, et ses grandes manières, la Dame couronnée conserve quelques traits de la Magna Mater et des déesses-mères des mythologies archaïques : féminité généreuse, fertilité, décisions sans appel, ambivalence de la femme capable d'être tour à tour amante et mère terrible ... 
« Dans la mesure où l'histoire de la France se confond avec le devenir de sa mythologie, il est permis de voir dans la Renaissance le moment où la divinité chtonienne s'efface pour quelques années devant une apparition radieuse qui sera plus que la Dame couronnée du Moyen
Âge : une déesse de l'Olympe. »

Dès le sacre de François 1er, c'est toute la famille des Valois-Angoulême qui se trouve déifiée sous l'apparence de Pallas Athéna-Minerve. Pour Symphorien Champier, Louise de Savoie est nommée « autre Pallas et très saige Minerve ». « Filz de Pallas, tant sacrée déesse / D'armes et sens » clame-t-il à propos du nouveau roi. D'autres poètes identifieront Marguerite de Savoie, fille et sœur de la triade, à la déesse. Puis ce sera la France elle-même qui sera identifiée à la déesse gréco-latine, à la fois vierge guerrière et sagesse des nations, ce que Ronsard résume ainsi : « Car pour bien faire il fault qu'un Roy se serve / De l'une et l'autre excellente Minerve ».

« L'image de la république minervienne est déjà en place. Tous les attributs sont là et cette synthèse imagée qui survivra à tous les régimes, monarchies et républiques » note Gilbert Gadoffre.

Après la cuisante défaite de Pavie, notre peintre courageusement détruira (à mon avis) cette identification "angoumoisine" en exaltant l'autre branche des Valois en la personne d'Anne de France. Mais rien à ma vue de religieux dans la tapisserie Pavie où Anne de France campe une France fière et farouche, guerrière qui a vaincu l'ennemi et propose la réconciliation.

Jamais Pallas ne souffrira d'être vaincue.
Euripide, Les Héraclides, v. 352

 

Sulévia ou Soulivia est une variante de Sulis, la déesse " celte " de Solutré, homologuée à Minerve/Athéna. En latin médiéval, Solutré se nommait Sulistriacus, c'est-à-dire, le " domaine de Sulis ".

" Suil " signifie dans la langue celte des bretons insulaires aussi bien " œil " que " soleil ", si bien que Sulis comme les Suleviae peuvent êtres considérées telles des divinités solaires. Cela implique une parenté étymologique avec la déesse germanique Sol.
Jean Markale a écrit : " À Bath, en Angleterre, sanctuaire des eaux guérisseuses, la divinité qu'on honorait était une déesse Sul, dont le nom n'a nul besoin d'être traduit. La déesse était donc également Vénus, c'est-à-dire la beauté, la blancheur, celle qui est née de l'écume de la mer. " (La Grande Déesse. Mythes et sanctuaires, p. 115).

Minerve/Athéna) était également une déesse de la guerre et de la sagesse. Comme le nom de Sulis l'indique, elle était une divinité solaire, mais elle incarnait le Soleil Noir (saturnien) de l'Autre Monde. On peut la reconnaître sous plusieurs identités avec son auréole rayonnante qui l'authentifie comme la Liberté, Vénus et la Vierge :
- la Vierge de Florence ou de Rome
- Thémis, la déesse de la Justice
- la Liberté à la torche ou République
- la Liberté de Bartholdi à Paris et New York

La Dame de la tapisserie Pavie a sa place dans cette lignée : avec tous les attributs d'Athéna, elle tient l'épée (la corne) dans la main gauche et la torche (le drapeau aux armes d'Antoine Le Viste), à la fois guerrière et pacifique, porteuse de lumière.

 

Pallas - vers 1485 - collection privée
tapisserie d'après un carton de Sandro Botticelli

Présentée au grand public seulement en 1935, à l'occasion de l'importante exposition organisée à Paris sur l'art italien de Cimabue à Tiepolo, cette tapisserie fut publiée pour la première fois en 1889, date à laquelle elle figura en frontispice de l'Histoire de l'art pendant la Renaissance de Müntz. Généralement considérée comme une réalisation nordique, très probablement française, exécutée à la fin du 15è s. d'après un carton de Sandro Botticelli et de son atelier, elle fit l'objet d'études détaillées à la fin du 19e et au début du 20e s.
C'est à Müntz (1889. I. p. 718) que l'on doit d'avoir redécouvert l'œuvre dans la collection des vicomtes de Baudreuil, tandis que l'identification du commanditaire est due aux recherches d'archives de Des Forts (1907. pp. 555-560). En effet, ce spécialiste a attribué le blason figurant sur la tapisserie à Guy de Baudreuil, abbé de Saint-Martin-aux-Bois de juillet 1491 à 1530.

 

En armure et coiffée d'un heaume, Pallas porte une lance et un bouclier.
Une chouette vole à ses côtés.
Une des 24 enluminures flamandes du Maître d'Antoine Rollin,
illustrant le Livre des échecs amoureux, composé en prose par Évrart de Conty vers 1400.

Mantegna - Minerve chassant les Vices du jardin de la Vertu - 1502 - musée du Louvre
(merci à Nadeije Laneyrie-Dagen, Lire la peinture, tome 2, pp.36-37)

John Tenniel  (1820-1914), on behalf of England,

expresses his sorrow over Lincoln's assassination…

Walter F. OTTO, Les Dieux de la Grèce, Payot, 1981 (Chapitre consacré à Athéna : pp.60-78)

 

Le Vœu du Banquet du Faisan

Proclamer des vœux sur un oiseau (paon, héron, faisan) était un rituel familier à la noblesse : 'c'est la coustume et a esté anciennement, que aux grandes festes et nobles assamblées on presente aux princes et nobles hommes le paon ou quelque autre oyseau noble pour faire veux utiles et vaillabes.' (in Marie-Thérèse Caron, Les Vœux du faisan, noblesse en fête, esprit de croisade, Brepols, 2003, p. 58). Comme le paon dans d'autres civilisations, le faisan était un symbole des vertus chevaleresques. Son nom (du grec phasianos) viendrait de celui du fleuve Phase (le Rion) en Colchide (la Georgie actuelle) où la légende situe la geste des Argonautes de Jason pour la prise de la Toison d'Or avec l'aide magique de Médée.

 

Dans la tapisserie "La Fontaine" de La Chasse à la Licorne des Cloisters, cette séquence pourrait illustrer le Vœu du faisan formulé par Philippe le Bon, duc de Bourgogne, et sa cour lors du Banquet du faisan, tenu à Lille le 17 février 1454 d'aller délivrer Constantinople prise par les Turcs l'année précédente.

Le serment fait la main levée, la croisade évoquée par la lance dressée.

 

Folio 86 recto

Du VI° vœu que fit la belle dame Edea. Folio 89 recto

Anonyme - Le livre des Conquestes et Faits d'Alexandre - milieu 15ème siècle

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Alazard, Florence, "Les fêtes à la Renaissance : totem et tabou", dans Le Verger, Bouquet VI, 2014.
http://cornucopia16.com/wp-content/uploads/2015/01/Verger-6-Alazard.pdf

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En choisissant Jason comme emblème de l'ordre de la Toison d'Or qu'il crée à Bruges le 7 janvier 1430 à l'occasion de son mariage avec Isabelle de Portugal, sa troisième épouse, Philippe le Bon (tout en concurrençant l'ordre de la Jarretière créé en 1346 ou 1347 par le roi d'Angleterre Edouard III) veut, en s'appropriant l'aura du héros mythologique, s'assurer son prestige et la fidélité jurée de ses sujets en tournant cet ordre vers l'Orient et la légende de Troie dont la Toison d'Or était alors un des symboles. Le mythe de la Toison d'Or effectuera le passage entre Moyen Âge et Renaissance. Le royaume de Portugal vivra ce mythe pleinement en lançant sur les mers et océans des navigateurs aux ambitions, certes économiques, mais avant tout inconscients.

site consacré à l'Ordre de la Toison d'Or :

http://annebhd.free.fr/heraldique/toisondor.htm

A la fin du Moyen Âge, Jason (que depuis Ovide on considérait comme parjure et déloyal vis-à-vis de Médée) entre en 'odeur de sainteté' par détournement du mythe : Jason dompte les forces du mal, s'empare de la toison ainsi que Jésus se serait incarné pour donner sa vie pour les humains. La légende mythologique se gauchit sous la force de la morale chrétienne. Jason endosse la tunique chrétienne ; le pays de Colchos où paît le bélier à la fabuleuse toison devient Jérusalem et la Terre Sainte ; le désir des Argonautes s'identifie à la foi chrétienne ; et la Toison objet de la quête se transmue en âme pure comme l'or fin. Même la magicienne et criminelle Médée devient le symbole de la foi chrétienne : ses philtres et ses incantations se meuvent en croix christique, charité et aumône.
Il semble que le personnage de Gédéon (dit Jeroubbaal, juge d'Israël, vainqueur des Madianites : Juges, VI-VIII) a doublé à la création de l'ordre celui de Jason. A Jason le rappel de la guerre de Troie et la conquête de la Toison ; à Gédéon, à travers les deux miracles des toisons de mouton tendues au sol, l'écho de la force morale et biblique dans la lutte contre les ennemis de la foi quels qu'ils soient.

Si certains, par l'observation de son symbolisme vestimentaire et ritualique, ont pu rapporter la création de l'Ordre de la Toison d'Or à un souci de la part de Philippe III le Bon de créer un ordre initiatique à l'hermétisme et à l'alchimie, son évocation revêt, selon moi, une autre signification dans cette tapisserie post-Pavie.

Juste avant la Fête de la Licorne à Cambrai, le Banquet du Vœu du Faisan, commencé par des fêtes populaires et des joutes, connaît son apothéose lors du banquet offert par Philippe le Bon à ses nobles. Au milieu du repas, entre divers entremets : jeux et représentations, Philippe le Bon prononce un vœu sur un faisan qu'on lui présente sur un plat : " libérer la Terre Sainte du joug des Turcs ", vœu qu'il demandera que ses vassaux prononcent aussi, oralement à sa suite et par écrit pour les jours suivants.

Je voue tout premièrement à Dieu mon createur et à la très glorieuse Vierge, sa mère et en apres aux dames et au faisant, que se le plesir du très chrestien et très victorieux prince monseigneur le Roy est de prendre la croisie et exposer son corps pour la deffense de la foy chrestienne et resister à la damnable emprinse du Grant Turc et des infidèles et se lors je n'ay leale ensoine de mon corps, je le serviray en ma personne et de ma puissance, oudit saint voyaige le mieulx que Dieul me donnera la grace…

Les appels à la croisade ont été répétés. La " prise de croix " fut encouragée par Jean Germain en Mai 1451 au chapitre de la Toison d'Or, lors du Banquet du Faisan, par la bulle du pape Eugène IV le 30 Septembre 1453 après la chute de Constantinople, par la bulle de Calixte III en 1455 qui fixait le départ le 1er Mars 1456, par Pie II qui constitue une ligue le 13 Septembre 1463 contre les Turcs. Les événements de 1481 à 1495 liés au prince Djem (1459-1495, fils cadet de Mehmed II et frère de Bajazet II), en sera un épisode qui alimenta un temps la légende de La Dame.

La lutte contre les Turcs était un acte de piété mais aussi un élément de la politique dynastique pour le duc de Bourgogne en 1454. Elle est aussi la preuve de la survivance de l'esprit de chevalerie médiévale : cérémonial à la fois religieux et profane qui convoque pour le vœu et le Christ et la Dame, la quête du merveilleux (la Toison d'Or) et l'amour.

Dans La Dame, les turbans et la tente sont des marques iconographiques de cet Orient mythique et mystique, lointain mais si présent en Occident dans ses mythes et dans l'art.

Le 14 mars 1494, alors que l'on pensait (à tort) que Bajazet venait de mourir et que la voie était quasiment libre vers Jérusalem, Charles VIII qui se trouvait avec ses armées en Italie, fait part au pape de son désir de plus en plus grand chaque jour " d'aller faire la guerre au Turc et de racheter les pauvres chrétiens qui sont aux mains de celui-ci ". Il lui confie : " Dieu seul pourrait m'en détourner " et demande qu'on lui ménage une entrevue avec le Grand Maître de Rhodes, " lequel connaît les méthodes de combat des Turcs ".

Louis XII caressa à son tour ce projet de croisade, peut-être conseillé par la très chrétienne Anne de Bretagne. Aux fêtes qu'elle donne le 10 août 1501 pour les fiançailles de leur fille Claude (qui vient de naître) avec le futur Charles Quint, " on représente une " mômerie " d'actualité : cinq couples en costumes de divers pays d'Europe viennent danser l'un après l'autre une danse de leur nation ; ils sont troublés par un archer turc qui essaie d'inviter chaque jeune fille tour à tour ; repoussé avec mépris par chacune d'elles, l'Infidèle, " mécontent des susdites alyences que contre lui voyait toutes bendées ", jette son arc au sol avec colère et s'enfuit.

L'allusion devait être transparente pour les assistants. Tous les Etats d'Europe ne venaient-ils pas de promettre enfin de s'associer contre les Turcs selon l'ancien plan du cardinal Péraud ? Six jours plus tard, le 16 août, l'escadre française quittait Naples et faisait voile pour " aller à son voyage de Turquie "… Mais cette croisade ne vit pas le jour. (Yvonne Labande-Mailfert, p. 467)

 

La reconquête des Lieux Saints répond à diverses motivations : retrouver la maîtrise des territoires où est née la foi chrétienne, s'opposer à la progression continue des Turcs Ottomans dans le sud-est de l'Europe et rétablir l'union entre les souverains européens dans une paix universelle : le grand rêve d'Orient et la guerre défensive dans " l'union européenne ", l'Orbis Europeus Christianus cher à Charles Quint quand il revivifie l'ordre de la Toison d'Or.
L'Est a toujours fait lever les yeux de la dynastie dont Charles Quint est un des rejetons :
— le jeune Philippe, futur 'le Bon', habillé en Turc à Hesdin quand son père Jean de Nevers, fils de Philippe le Hardi, était captif de Bajazet après la défaite de Nicopolis
— Charles Quint pour qui, dès 1546, Vermeyen conçoit à Bruxelles la tenture de La Conquête de Tunis où l'empereur est représenté en prince de la Toison d'Or. Ne s'agit-il pas d'opposer à l'alliance et aux relations diplomatiques, économiques et culturelles franco-turques du Lys de François 1er et du Croissant de Soliman le Magnifique un exemple qui exalte les projets bourguignons de croisade ? Dans sa lutte contre les Ottomans à partir de l'Autriche et de l'Espagne pour défendre avant tout les territoires des Habsbourg, Charles Quint réveille la mission initiale de l'ordre de la Toison d'Or.

Comme le note Marie-Thérèse Caron (pp.102-103) : " le véritable héritier de Philippe le Bon est peut-être son descendant, l'empereur Charles Quint. L'idée de croisade est restée vivante au début du 16ème siècle dans l'esprit de certains gouvernants. En 1517, Léon X appelait encore à la croisade ... Sans doute Charles était-il empereur et comme tel, appelé à défendre et à protéger la chrétienté. Sans doute avait-il aussi l'autorité qu'il fallait pour le faire. Dans sa volonté de croisade il accomplissait ce devoir, et sa 'vocation bourguignonne, sans cesse exaltée et jamais assouvie'. Elle est, à tout moment, rappelée dans le serment de la Toison d'or dont il était le souverain. Cependant l'empereur lui-même et son frère Ferdinand ont eu conscience à la fois des problèmes d'argent hérités de Maximilien et de la désunion du Saint-Empire, encore aggravée par la Réforme. Les difficultés se retrouvent, toujours très comparables à celles qui existaient déjà au milieu du 15ème siècle. "

Ce Vœu du Faisan relié au vœu de croisade a eu une diffusion importante par la littérature (romans courtois, poèmes, pièces de théâtre, chroniques d'Olivier de la Marche, Michaut Taillevent, Guillaume Fillastre, Mathieu d'Escouchy, Georges Chastellain, Jean de Wavrin, Jean Molinet), les cortèges et les représentations théâtrales proposées par les 'Chambres de Rhétorique' lors des fêtes ou des entrées princières. Sans oublier les tapisseries inspirées par cette littérature. Notre peintre connaissait le récit de ce Banquet de Lille : La Bulle de croisade de 1463 du pape Pie II et L'Epître à la maison de Bourgogne d'un anonyme de 1463/64 qui y furent adjoints en latin ont été traduites en français pour une divulgation la plus large possible.

Il n'est pas surprenant qu'en 1525, notre peintre, par la simple apparition d'un faisan (qui fait front à la perdrix) évoque, pour tout contemporain " lettré ", ce monde empreint de chevalerie, de croisade et de monarchie universelle. Comme le souligne Antoinette Huon (Les Fêtes de la Renaissance, 1973), François 1er et après lui son fils Henri II reprendront en écho le thème de la Toison d'Or lors de leurs entrées dans les villes de Rouen, Lyon et Paris (par exemple, François 1er y est Thyphis, le premier conducteur des Argonautes) où s'expriment la polémique entre les Valois et les Habsbourg et l'aspiration à une monarchie universelle.

Cette présence d'Athéna (dont le visage résolu est à hauteur du faisan et des singes prisonniers) rappelle la lutte des Etats européens contre l'avancée des Turcs et les promesses d'une nouvelle croisade ; elle anticipe un tableau disparu de Bartholomeus Spranger (1546-1625), le peintre de Rodolphe II à Prague que reproduit certainement une gravure de 1597 de Johannes et Harman Muller (Allégorie des Arts, Paris, BN, estampes) qui convoque Jupiter, Minerve, Mercure, la Renommée, la Peinture, la Sculpture, l'Architecture, les rois et princes des Etats d'Occident et des soldats turcs.

Regardons le Dame de Pavie comme la concrétion des 12 vertus, théologales et nobiliaires, (Foi, Charité, Justice, Raison, Prudence, Tempérance, Force, Vérité, Largesse, Diligence, Espérance, Vaillance) qu'au Banquet de Lille 12 chevaliers accompagnaient à la suite de Grâce Dieu, " la divine aumonniere ". Il s'agissait en 1525, aux yeux d'Antoine Le Viste et de ses amis, non seulement de sauver l'Eglise mais surtout le pays.

 

La monarchie universelle, l'universitas christiana

Me laisserez-vous entrevoir dans la trame du Pavie les forces antinomiques (la destruction et la fondation) dialectiquement en jeu dans le dynamisme spontané de la violence : déstructuration d'un ordre obsolète qui n'est plus consensuel dans une société atomisée et, paradoxalement, phantasme de communion, d'unité, dans un collectif nouveau. Soit pour notre tapisserie, la violence de la bataille de Pavie qui est refus du morcellement européen et qui clôt pour un temps la rivalité Valois/Habsbourg et l'évocation par la triade Lion-Dame-Licorne du désir d'épuisement de cette violence dans la paix et la monarchie universelles.

Claude-Gilbert Dubois le dit ainsi dans L'Imaginaire de la Renaissance (PUF, 1985) page 176 : " L'imaginaire politique occidental est fondé, au début du 16ème siècle, sur deux nostalgies unitaires : celle de l'Empire et celle de l'Eglise. L'empire s'écroule au profit des nations, et l'Eglise se disloque en églises séparées, dont la plus ancienne n'est désormais que la première, sans être unique. Elle est fondée d'autre part sur l'amalgame établi entre le pouvoir et la morale, les deux piliers de l'autorité. Or Machiavel révèle que la politique, qui est art de prendre le pouvoir, et de la garder, est affaire de savoir, et que l'apparence morale n'est qu'un moyen parmi d'autres de parvenir à ses fins suivant les circonstances.
L'imaginaire dit encore : universalité, moralité, mais le réel répond : disparité, efficacité…

Jean Lemaire de Belges aura ces mots dans Les Illustrations de Gaule : " Pleust à Dieu que tous noz treshauts princes de Chrestienté fussent ensemble si bons amyss, que jamais il ny eust que redire ne que radouber en leurs quereles mutuelles et controverses reciproques, ains alassent unanimement ayder aux Hongres, aux Bohemes et aux Polaques ".

Déjà, au 12ème siècle, certains songeaient à un empire unique qui aurait pu aller de Byzance au roi Arthur : ainsi Chrétien de Troyes dans son roman Cligès fait évoluer ses deux héros grecs, Alexandre et son fils Cligès, entre Constantinople, leur patrie, et la Bretagne du roi Arthur. Soit un va-et-vient continuel entre l'Occident et l'Orient, que Cligès unit à lui seul, à travers les familles royales de Byzance et de Bretagne, en tant que petit-fils de l'empereur de Constantinople et petit-neveu du roi Arthur. Cette idée d'une union politique des deux chrétientés n'est pas étrangère aux réalités politiques, les mariages entre princesses grecques et nobles occidentaux étaient courants. La présence politique française en Orient, sur territoire byzantin, datait de la premère croisade ; les Français ne conquerront la Grèce que cinquante ans après la rédaction, vers 1176, de Cligès.

Alighieri Dante (1265-1321) précisa son idéal de monarchie universelle fondé sur un humanisme à la fois antique et chrétien au fil de ses trois œuvres "politiques", Il Convivio, Epistolae et De Monarchia : les autorités conjointes, à Rome même, de l'empereur et du pape apporteraient à l'humanité instruite par la révélation, sur terre la paix et l'ordre universels chrétienne et dans l'au-delà, la béatitude édénique.

Aux temps de la Renaissance, ce sont les nations qui s'affirment.

L'idée du gouvernement unique du monde, incarné en une personne, existe encore au 16ème siècle, mais sous une forme de mythe ou d'attentes, comme celle du Pape Angélique ou du retour du "Grand Monarque". Athéna est ici la représentante d'une Antiquité, " modèle idéalisé… imaginé comme matrice universelle, ou lieu de fusion de toutes les cultures et les formes de pensées " (Claude-Gilbert Dubois, Mots et règles, jeux et délires, p.237). Dans sa " recherche d'un point de convergence qui polarise les recherches des auteurs syncrétiques et des utopistes ", l'artiste a convoqué ici Athéna dans un projet de " concorde universelle, de reconstruction de l'Europe, de reformation de la chrétienté, de l'unification de l'Univers " ainsi que Guillaume Postel (1510-1581) le définira dans De orbis terrarum concordia paru en 1544.

Mais les idées d'Empire et de Croisade ne peuvent plus avoir une force mobilisatrice. " Elles jouent comme des mythes révolus … Machiavel a bien saisi combien un discours moral fondé sur la tradition, mais non effectivement opératoire, peut-être utile, par l'emprise sur l'imaginaire, pour assurer son pouvoir … Si la force fait défaut, le prince recourt à la ruse : les idées d'empire, de croisade, de défense de la chrétienté, de religion sont les paravents, dressés pour les ignorants, du stratège politique réaliste, qui les manipule à son profit ".

Les Croisades, malgré leur politisation, conservèrent toujours une structure eschatologique et leurs échecs successifs n'ont pas anéanti les espérances eschatologiques. En 1600 encore, dans De Monarchia Hispanica, Tommaso Campanella demandait au roi d'Espagne de financer une nouvelle Croisade contre l'Empire Turc pour fonder, la victoire acquise, la Monarchie Universelle. En 1638 toujours, pour célébrer la naissance du futur Louis XIV, Campanella dans son livre Ecloga écrit pour Louis XIII et à Anne d'Autriche, prophétise la recuperatio Terrae Sanctae et la renovatio saeculi. Le jeune roi conquerra toute la Terre en mille jours en soumettant les royaumes des infidèles et en libérant la Grèce. Tous les peuples de la Terre formeront une seule chrétienté et cet Univers régénéré aura seul centre : Jérusalem.


Au delà de l'anecdotique, après qu'ont été reconnus et nommés les principaux protagonistes de la scène tissée et qu'a été expliquée la présence de la déesse Athéna, doivent être recherchées les implications ultimes de leur présence à tous dans ce Pavie tardif de 1525.

Cette tapisserie essentiellement historique expose divers antagonismes :
- la lutte historique haute bourgeoisie VS noblesse au pouvoir
- la rivalité François 1er VS Charles Quint - Henry VIII - Charles de Bourbon étudiée ci-dessus
- la naissance des Etats et des nationalisme VS la renovatio impériale (la résurgence tardive et fantomatique de l'idée d'empire universel, du Monarque du monde) et la restauration de l'universitas christiana.

En 1519, qui va remplacer Maximilien décédé, grand-père de Charles Quint et empereur qui dominait la moitié de l'Europe, sur le trône du Saint Empire romain germanique ? Qui sera le prochain dominus mundi, le seigneur du monde unifié ?

Les Grecs avaient cédé " l'Empire " aux Romains qui l'avaient donné aux Germains en la personne de Charlemagne qui avait été roi des Francs : ainsi, aussi bien Charles Quint que François 1er pouvaient se targuer d'être dignes d'exercer l'imperium au sens temporel, le droit de régir le monde. François 1er avait la supériorité, affirmait-on, 1- de descendre de l'ancêtre mythique troyen Francus, 2- de porter le titre de rex christianissimus (le roi très chrétien) et enfin 3- d'avoir été oint par l'huile de la Sainte Ampoule apportée du ciel lors du baptême de Clovis. Henry VIII n'avait pour argument que la prétention de descendre, lui aussi, de Troie par l'intermédiaire de Brutus, être mythique, parent troyen d'Enée, qui fonda Londres sous le nom de Troynavant (" Nouvelle Troie "). De ce Brutus descendaient donc les rois britanniques, selon le mythe Tudor, reprenant à leur compte le " pouvoir impérial " dans un nouvel âge d'or de paix et de prospérité. N'ont-ils pas aussi réuni les maisons d'York et de Lancaster en une monarchie unifiée sous le symbolisme de la " rose Tudor " ? Chaque dynastie (Valois et Habsbourg essentiellement) développe un impérialisme politique justifié par des origines dont les racines sont recherchées et trouvées dans le lointain passé : Gaulois descendants directs de Noé par Japhet et Gomer ; Troyens exilés en Gaule via Francum et Pâris, fils de Priam ; et pourquoi pas, cocorico !, les Gaulois civilisant les Grecs !

A une époque de pleines mutations et en totale crise de conscience faite de déchirements bellicistes, de fragilités politiques et de pluralités suite aux 'grandes découvertes' religieuses, ethniques, mythologiques…, cette volonté d'unité à travers un futur monarchique universel est me semble-t-il un des faces de la mystique de l'Unité, hantise nostalgique dont le 16ème siècle sera habité et va de paire avec la quête de la lingua humana, la langue originelle, le verbe édénique, adamique, perdu dans 'la Chute' et la 'Tour de Babel' : " Toute la terre avait une seule langue et les mêmes mots (Genèse, 11-1).
Je vois dans la présence massive de cette faune, pseudo-réelle (chiens, renards, lapins…) et anthropomorphique (licorne et surtout lion) la trace de la hantise nostalgique de l'Unité des Origines édéniques où humains (Adam et Eve) et animaux vivaient en amitié parfaite qui aurait permis à Eve et au serpent de dialoguer (Il dit à la femme... La femme répondit au serpent… Alors le serpent dit à la femme… Genèse, 3-1-4 ) (avant toute métempsychose !).

 

Assis sous un dais fleurdelisé décoré des initiales A et L (Anne et Louis), Louis XII tient le sceptre et l'épée de justice. Il est représenté de profil comme un empereur sur une médaille antique.

 

Les marches du trône portent aussi les initiales A et L et le porc-épic des Orléans.
Dans les marges, alternent des aigles impériales et des bustes d'empereurs romains :
— à droite et de haut en bas : Auguste, Justinien, Constantin, Marc Antoine.
— à gauche : Nerva, Trajan, Hadrien, Antonin.
— en haut, Titus, surnommé "les délices du genre humain", modèle antique du "Père du Peuple" que Louis XII prétendait être.

La choix, établi sur :
— les fondateurs de l'empire
— les grands empereurs chrétiens, les Antonins,
exprime l'idée que le roi de France est leur héritier et qu'il peut prétendre à l'empire.

 

Cette illustration sur parchemin d'Enguerrand de Monstrelet de 1510 (Chroniques, BNF, ms. fr 20360, f.1) est aux armes de François de Rochechouart, gouverneur de Gênes.

 

Les Grands Electeurs élirent Charles Quint qui affrontait à cette occasion pour la première fois celui qui allait devenir son principal ennemi, François 1er. Charles Quint est couronné à Aix-la-Chapelle en 1521 et tient sa première diète à Worms la même année.

Erasme avait écrit en 1516 Institution de Prince Chrétien pour l'éducation du futur Charles Quint.

En 1516, la publication du poème Orlando furioso (Roland furieux) de Ludovico Ariosto annonçait cette élection du " nouveau Christ ".

Doit-on à la lecture de l'extrait suivant (Canto XV ; traduction de Michel Orcel, Seuil, 2000) passer de Virgo-Astraea à Athéna (sous les traits de laquelle, plus tard, Elizabeth 1ère d'Angleterre se fera représenter : Cf. Frances Yates, Astrée : le symbolisme impérial au XVIe siècle, Belin, 1989) par le titre de " Vierge juste " commun aux deux déesses?

25
Del sangue d'Austria e d'Aragon io veggio
nascer sul Reno alla sinistra riva
un principe, al valor del qual pareggio
nessun valor, di cui si parli o scriva.
Astrea veggio per lui riposta in seggio,
anzi di morta ritornata viva;
e le virtù che cacciò il mondo, quando
lei cacciò ancora, uscir per lui di bando.

 

26
Per questi merti la Bontà suprema
non solamente di quel grande impero
ha disegnato ch'abbia diadema
ch'ebbe Augusto, Traian, Marco e Severo;
ma d'ogni terra e quinci e quindi estrema,
che mai né al sol né all'anno apre il sentiero:
e vuol che sotto a questo imperatore
solo un ovile sia, solo un pastore.

 

25
Je vois que le vœu du ciel incline à unir les maisons
D'Autriche et d'Aragon en une lignée heureuse,
Et les voici réunies en une seule par alliance :
Je vois un rameau croître sur la rive du Rhin,
Depuis cette maison, comme lui jamais il n'y en eut
Pour l'égaler (je serais bien hardie d'en dire davantage),
Et nul auteur ancien ni moderne n'en conçut l'égal.

 


26
Par lui, à nouveau Astraea reviendra,
Et sera ramenée de son trop long exil,
Et les vertus qui si longtemps ont été réduites à rien
Règneront et banniront la fraude, la fourberie et la ruse :
Pour que ces grandes œuvres soient accomplies
Dieu a projet de lui confier toute cette île terrienne
Et sous ce sage Prince qu'il a sacré lui-même
Il a prescrit un berger et un troupeau
.

 

Le grand traité de paix universelle de 1518 :
Le traité de Londres, signé dans la capitale anglaise en 1518, est un traité conclu entre les principales puissances européennes de l'époque, à savoir la France, l'Angleterre, l'Espagne et le Saint-Empire romain germanique.
https://fr.wikipedia.org/wiki/Trait%C3%A9_de_Londres_(1518)

Cette réunion au sommet que Pavie expose, ce G4 renaissant qui rassemble les sommités de l'époque, peut être comparée à la procession des Skira qui " réunissait " à Skiron, près du fleuve Céphise, à la limite des deux territoires d'Athènes et d'Éleusis, deux cités autrefois ennemies, les protagonistes suivants : Athéna Polias (ici la Dame = Charles III de Bourbon), Hélios, représentation divine du soleil (ici le lion = Charles Quint) et Poséidon, dieu de la Méditerranée (ici la licorne dont la corne serait un trident = Henry VIII) qui offraient en ce jour de fête l'image d'une bonne entente entre les divinités tutélaires assagies d'Athènes et d'Éleusis qui s'étaient affrontées lors de la " guerre des origines ".
Ces aventures mythologiques étaient, très probablement, connues de Jean Perréal et alimentaient son imagination créatrice. Dans Pavie, je crois qu'il a voulu exalter un espoir de paix universelle au lendemain de Pavie.
Nouveau règne de la paix et de la justice universelles, nouvel âge d'or sous l'autorité d'un Souverain Unique que la défaite française de Pavie pourrait augurer à nouveau. Le Titien, dans son tableau équestre (tel une statue antique d'Empereur romain déposée sur la toile) de Charles Quint proclame ce rôle impérial d'un souverain sur le domaine duquel jamais le soleil ne se couche.

Il existe dans les traditions diverses de l'islam un courant eschatologique important. A la fin des Temps, Mahdi, l'homme juste guidé par Dieu, (qui pourra être accompagné de Jésus) viendra détruire les religions fausses et établira, avec la justice et la vertu, l'islam dans le monde entier Au 16ème siècle, certains virent en Soliman le Magnifique ce Mahdi et ce Conquérant-là. Les Chrétiens, dans une perspective eschatologique parallèle, considéraient Charles Quint empereur comme le Conquérant universel. Notre faisan à senestre ouvre bien des horizons !

Mais, rétorqueront certains de mes lecteurs, la présence des trois nations, la France, le Saint Empire et l'Angleterre, ne plaide-t-elle pas plutôt pour une pensée anti-impériale et la reconnaissance d'Etats nationaux puissants et bien organisés, indépendants et en bonne intelligence entre eux, dont Machiavel développera la conception ? Peut-être ont-ils raison…

Ces citations extraites de l'analyse L'Europe et l'héritage européen jusqu'à la fin du 19ème siècle de Jan Patocka, in Essais hérétiques sur la philosophie de l'Histoire, Petlice, Prague, 1975 et Verdier, 1981, aideront à la réflexion : " L'héritage de l'empire romain est lui-même la continuation d'un autre héritage, légué par la polis grecque à ses successeurs romain et hellénistique et qui se résume dans l'aspiration vers la communauté de la vérité intelligible et de la justice comme idée morale culminante de la philosophie classique… L'héritage de la philosophie classique grecque, c'est le souci de l'âme [qui] signifie : la vérité n'est pas donnée une fois pour toutes, elle n'est pas non plus l'affaire simplement de la contemplation et de l'appropriation par la pensée, mais bien par la praxis de la vie intellectuelle, qui la vie durant se sonde, se contrôle et s'unifie elle-même… Le souci de l'âme est donc ce qui a engendré l'Europe… Le 16ème siècle semble être le grand tournant dans la vie de l'Europe occidentale. A dater de cette époque, un autre thème, s'opposant au thème du souci de l'âme, se porte au premier plan, s'empare d'un domaine après l'autre - de la politique, de l'économie, de la foi et du savoir - et y introduit un style nouveau. Le souci d'avoir, le souci du monde extérieur et de sa domination, l'emporte sur le souci de l'âme, le souci d'être… L'organisation de la vie économique selon le mode capitaliste moderne qui s'effectue à la même époque, relève elle aussi du même style principiel. A compter de cette époque, il n'y a plus pour l'Europe occidentale en expansion de lien universel, d'idée universelle capable de s'incarner dans une institution et une autorité unificatrices, concrètes et efficaces : la primauté de l'avoir sur l'être exclut l'unité et l'universalité, et les tentatives pour y suppléer par le pouvoir demeurent vaines.

 

 

 

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