Ce passage de frontière se situe en 1937. Jean Genet avait 26 ans et demi.
Je suis la chronologie établie par Albert Dichy. Le 15 octobre 1935, sans
attendre la fin du contrat militaire précédent, il en contracte
un quatrième pour une durée de quatre ans. Il est alors intégré
dans un corps d'élite, le Régiment d'infanterie coloniale du Maroc,
à Aix-en-Provence. Mais le 18 juin 1936, il manque à l'appel et
est déclaré déserteur quelques jours plus tard.
vers
1937 - photographie d'identité
"
... enfin ces interminables voyages à travers l'Europe poursuivis dans
les haillons, dans la faim, dans le mépris, la fatigue et les amours viciées."
(Journal du Voleur)
Un
long périple d'un an (de juillet 1936 à juillet 1937) de plus de
8 500 km à travers l'Europe lui permet d'échapper aux poursuites
:
- Nice.
- l'Italie où il pénètre en juillet sous
le nom de " Gejietti ".
- l'Albanie où il est immédiatement
arrêté et expulsé.
- la Yougoslavie : arrêté
par la police à Belgrade, il est placé durant un mois en résidence
surveillée avant d'être reconduit à la frontière italienne.
- Palerme où il tente de s'embarquer pour l'Afrique lorsqu'il est à
nouveau arrêté et refoulé.
- l'Autriche : il arrive à
Vienne au début de l'hiver 1936 et fait encore l'objet d'une arrestation.
- rejeté vers la Tchécoslovaquie, il se réfugie dans
la ville de Brno de Janvier à fin mai 1937. Appréhendé par
la police tchèque, il demande l'asile politique. Embarrassées, les
autorités locales le confient à la Ligue des droits de l'Homme qui
le prend sous sa protection.
- " Mais, quand je passai, de Tchécoslovaquie
en Pologne, la frontière, c'était un midi, l'été.
"
- en Pologne, il est arrêté à Katowice et emprisonné
quatorze jours.
- il traverse l'Allemagne nazie et arrive à Berlin.
-
il fait une halte de quelques jours en Belgique, à Anvers et à Bruxelles.
-
il arrive finalement à Paris en juillet 1937.
Albert
Dichy & Pascal Fouché, Jean Genet, Essai de chronologie,
Bibliothèque de Littérature française contemporaine de l'Université
Paris 7, 1988
----------------------------
Je
veux tenter de découvrir les " raisons " pour lesquelles La
Dame à la Licorne a " bouleversé " Jean Genet.
Je
cherche des pistes d'explication. Je n'explique pas. Je suggère
En
quelle année, à Paris, Jean Genet a-t-il découvert La
Dame ? Avant son passage de la frontière entre la Tchécoslovaquie
et la Pologne en juillet 1537 ?
soit en 1925 (il a 14 ans et demi),
quand il est placé, en avril, chez le compositeur aveugle René de
Buxeuil
soit en juin-juillet 1933 (il a 22 ans et demi), quand, libéré
de ses obligations militaires le 16 juin, il vient à Paris, rend visite
à André Gide et prépare un grand voyage vers l'Afrique.
Dans La Force des choses, (Tome I, p. 135) Simone de Beauvoir mentionne
cette visite en juin 1946, soit 9 ans après l'événement,
ce qui explique la présence du terme "Mais" au début du
second paragraphe. Il s'agit donc d'une relation très étudiée,
un "morceau choisi", que Jean Genet écrit pour relater ce passage
de frontière. La signification à donner à chacun des éléments
de la relation ne peut être alors tout à fait la même dans
les deux hypothèses, avant ou après 1937.
Pour
l'heure, quatre auteurs m'aideront dans cette recherche :
Agnès
Vannouvong, Jean Genet - Les revers du genre, Les Presses du réel,
2010
Edmund White, Jean Genet, Gallimard, 1993, traduction
de l'anglais par Philippe Delamare
David Herbert Lawrence, Apocalypse,
Desjonquères, 2002, traduction de l'anglais par Fanny Deleuze
Jean-Claude Rolland, Guérir du mal d'aimer, Gallimard, 1998
Jean-Claude Rolland, Avant d'être celui qui parle, Gallimard,
2006
----------------------------
"
les êtres surnaturels prennent racine dans l'angoisse infantile. "
Géza Róheim, La Panique des dieux, p. 130.
----------------------------
Dans
cette scène, Jean Genet, seul, reconstitue oniriquement sous le
coup de l'émotion, le décor et l'univers des tapisseries de La
Dame :
- la licorne
- les arbres / bouleaux et sapins
- champ de
seigle / île fleurie
- aigle / faucon
- lièvres / lapins
-
douaniers / lions et autres animaux : genettes, singes, loup, panthères
-
la terre de Pologne / la dame = la mère à retrouver
- personnage
héraldique, blason naturel / blasons d'Antoine Le Viste
- expression
hautaine / maintien " noble ", vêtements et parures des deux jeunes
femmes
- énigme, féerie et suavité, mystère de
la nature diurne / toute l'atmosphère de la tenture
- pénétrer,
posséder / érotisme de certaines scènes
----------------------------
1-
" l'apparition d'une licorne " : " l'archétype féminin
"
Agnès Vannouvong (p. 83)
"
Chez Genet, les corps, possédés et amoindris, sont des corps perforés.
Cette métaphore de la perforation n'est pas étrangère à
la sexualité homosexuelle. L'uvre génétienne suggère
toujours une trouée, troué violente des corps, transpercés
par les sexes, trouée de l'image, envahie par le brouillard et obscurcie
par l'ombre, trouée des corps par une matière brumeuse qui voile
les corps. Comme le suggère Roland Barthes à propos de l'uvre
de Pierre Loti, l'uvre de Genet s'inscrit dans une vaste " épopée
sodoméenne ". Lors de cette traversée, le corps perforé
revêt une couleur mortifère. Aussi la lame du couteau dans le corps
participe-t-elle d'une trouée corporelle. Les exemples se répètent
[
] Les corps, perforés par un sexe ou par une lame de couteau, n'échappent
pas à la mort.
Force est de constater que le corps possédé
est associé au corps féminisé, à l'image de Divine.
Il ressemble à une femme et excède même l'archétype
féminin. "
la licorne, sa mère ?
Pierre Le Colas - La Dame a la Licorne - lithographie
"
S'il se produit quelque chose, me disais-je, c'est l'apparition d'une licorne.
Un tel instant et un tel endroit ne peuvent accoucher
que d'une licorne. "
"
Sans cesse dans ses uvres de fiction, Genet reviendra sur l'image du jeune
voyou qui a été traité durement pendant l'enfance et nourrit
un sentiment d'injustice et de frustration, même s'il convenait davantage
à son esthétique de le représenter comme un type plutôt
que comme une personne réelle et changeante. Genet préférait
le projeter sur scène déjà rageur et vulnérable, en
ne nous donnant qu'un aperçu de ses humiliations enfantines. Ces cicatrices
n'en étaient pas moins essentielles pour Genet, qui voyait en elles l'origine
de tout élan artistique : " Il n'est pas à la beauté
d'autre origine que la blessure, singulière, différente pour chacun,
cachée ou visible, que tout homme garde en soi, qu'il préserve et
où il se retire quand il veut quitter le monde pour une solitude temporaire
mais profonde. " (Edmund White, p. 30)
"
De même qu'il explorait les virtualités hautes et basses
de son nom, de même, surtout dans ses romans, il peuplera de visages successifs
le cadre vide étiqueté " Mère ".
Peut-être
chaque vie exige-t-elle un symbole puissant mais ambigu fût-il vide
autour duquel elle puisse tourner. La laïcisation de la société
et le déclin de l'éducation classique n'ont pas éliminé
l'appétit pour de tels symboles, mais seulement leur disponibilité.
L'absence d'un langage symbolique commun a contraint les écrivains à
transformer leur propre vie en mythologie, Marcel Proust ayant révélé
que même les vies les moins aventureuses peuvent être rendues mythologiques.
La différence, néanmoins, entre une mythologie personnelle et des
mythes collectifs et traditionnels, c'est que les événements n'y
surgissent pas tout parés d'un halo, mais doivent être nimbés
par l'auteur au fil de son récit, généralement par la répétition,
l'insistance - qui transforment le motif en leitmotiv - et un style soutenu. Finalement,
le Charlus de Proust est tout aussi tragique que Job ou dipe et la madeleine
aussi sainte que l'Eucharistie, même si cette intensité n'est pas
reçue mais s'élabore. " (Edmund White, p. 17)
La
genette, à gauche, éloignée de la Dame, la regarde intensément
Cette
licorne est peut-être " l'étiquette " que Genet colle dans
des instants d'émoi douloureux, d' " émotion "
intense, sur cet espace vide nommé " mère ". La licorne
est le symbole de la pureté et la légende assure qu'elle ne se laisse
approcher que par les vierges et les saints. Sa présence dans l'imagerie
religieuse souligne la pureté des personnages qui se tiennent à
ses côtés. Dans l'ésotérisme, elle figure le rayonnement
solaire et, en alchimie, la double force du solve et du coagula,
de dispersion et de rassemblement. C'est bien en un tel état instable
de passage que se trouvait Jean Genet sur cette frontière.
Jean-Claude Rolland, dans Guérir du mal d'aimer, au chapitre
: Les voix chères qui se sont tues, écrit au sujet de Gradiva,
une nouvelle publiée en 1903 par l'écrivain allemand Wilhelm Jensen
:
http://fr.wikipedia.org/wiki/Gradiva
"
Heureusement, le refoulement n'est jamais totalement réussi ; avec le rêve
et la passion qui le déjouent reviennent l'enfant et la trace de son existence.
Mais cette trace est ordonnée selon une logique fantasmatique qui lui est
propre et que l'on reconstruirait ainsi, faute de sujet pour l'énoncer
: " Me rappeler qu'il est mort en le faisant revivre. " C'est donc par
une profonde intuition psychologique que Jensen accorde à son héros
le pouvoir de résurrection de Gradiva, à partir de son pas et la
trace de ce pas dans les cendres du Vésuve. La trace inconsciente est une
condensation ; elle inscrit l'événement et sa dénégation
Gradiva rediviva. Ainsi est-elle à la source d'un
certain fantastique de la fiction, du rêve, de la passion et de l'expérience
transférentielle.
Lorsque Norbert contemple le bas-relief dans son cabinet
de travail, la jeune fille avance dans les rues de Pompéi, et Jensen note
avec soin les détails de sa vision. Freud sut, à cette occasion,
établir une juste analogie entre le silence auquel la coulée de
lave a réduit l'animation de la cité antique et le gel de sa vie
amoureuse auquel l'enfant est condamné par le mécanisme psychique
du refoulement. Nous pouvons, à notre tour, être sensibles à
l'analogie qui existe entre, d'une part, le bas-relief et son motif funéraire
dont l'amoureux déjoue la fatale froideur en l'animant d'une gracieuse
démarche et, d'autre part, la trace inconsciente que le rêveur ressuscite
en le dotant de tous les attributs de la vie immédiate.
C'est de la
même façon que le moi, dans la situation psychothérapique,
est invité à rêver. L'expérience transférentielle,
tout comme le rêve et la passion, ouvre au moi l'accès à cette
autre scène, condamne l'analysant à s'y familiariser, à surmonter
l'effroi et la répulsion qu'elle suscite et à en assumer la vision.
"
En tant qu'uvre
d'art où Jean Genet a peut-être vu et ressenti la tristesse
et la mort, comme le bas-relief au motif funéraire que fixe Norbert, la
dame de La Dame à la licorne ne pourrait-elle pas être la
mère de Jean Genet ? Sa beauté et sa jeunesse, la majesté
de son attitude et la richesse de ses nobles parures, le mystère qui entoure
son identité (Le mystère : " ce qui est nécessaire
pour qu'il y ait du réel. " René Magritte), ont pu la lui
rendre " vivante ".
Le passage de la frontière peut-il être
considéré comme une re-naissance, une sortie de la mère,
d'où la présence de la licorne symbole de la vie et de pureté,
de la création ?
"
Ce qui est rêvé dans l'expérience transférentielle,
ce qui est visualisé selon un procédé analogue à celui
du rêve, ce sont donc les représentations inconscientes d'objet,
les restes psychiques des objets d'amour auxquels le sujet a été
contraint de renoncer. Dans Deuil et mélancolie, Freud a une formule
qui serait aisément banalisable, mais dont il faut soutenir l'étrangeté
et la profondeur : " L'épreuve de réalité a montré
que l'objet aimé n'existe plus [
] et, pendant ce temps, l'existence
de l'objet perdu se poursuit psychiquement. " (S. Freud, Deuil et mélancolie,
in Métapsychologie, Gallimard, 1968, p. 150). " (p. 47)
"
La passion hypothétiquement, le transfert à l'évidence dévoilent
donc qu'un objet actuel élu, singulier, unique en apparence, n'est que
le substitut, le répondant, dans le monde extérieur, de la trace
psychique d'un autre objet qui, lui, est perdu. Concevoir la relation d'objet
comme étant déterminée par une relation intrapsychique à
une trace inconsciente reste scandaleux pour la pensée, même pour
la pensée analytique, et l'on doit se rappeler que Lacan, en son temps,
dénonça la dérive de la pensée analytique vers une
conception trop oblative de la relation d'objet. Par ailleurs, gardons à
l'esprit la fameuse formule freudienne : " L'objet n'est pas trouvé,
mais retrouvé. " p. 56
La
genette aux pieds de la Dame
Ce
passage de frontière représente aussi une re-naissance : il faut
sortir d'un monde et entrer dans un autre, dans la crainte, la douleur, le rouge
du sang et la blancheur éclatante du jour après le noir de la ténèbre
utérine.
Cette licorne espérée est bien celle admirée
sur les tapisseries au musée parisien de Cluny. Plusieurs interprétations
font de la dame et de la licorne des personnages religieux. (lire
la partie de ce site consacrée à La Chasse à la Licorne)
(Le
cheval comme force vivante et symbole vécu apparaît dans le roman
de Lawrence, La femme et la bête, Éd. du Siècle, 1932)
La Dame à la licorne : une uvre " suffisante "
Le
psychanalyste Jean-Claude Rolland écrit dans Avant d'être
celui qui parle des pages (p. 197-200) qui débusquent une sente que
nous allons emprunter ensemble :
"
L'uvre d'art, l' " uvre ", à laquelle une fois rencontrée
on revient sans cesse par la pensée, qu'on porte en soi ou qui porte le
soi, tient sa puissance de son absolue suffisance. " Suffisance " est
un mot ambigu. Beaucoup de ses acceptions au plan psychologique sont péjoratives
quand elles désignent des postures de l'être.
Elles témoignent
que, dans un renversement pathétique, est niée la menace d'anéantissement
que cet être porte en lui. La suffisance a maille à partir avec la
mort, elle l'annonce autant qu'elle la contient. C'est pourquoi les êtres
suffisants suscitent immédiatement tant d'aversion. Ce n'est pas leur sentiment
de supériorité qui nous fait les rejeter. C'est de deviner, sous
le linceul de l'arrogance, la silhouette furtive de la camarde. Pour préserver
l'étiage ordinaire de nos narcissismes, nous nous écartons d'eux
comme de foyers de contamination. Il est bien possible que la rupture d'avec son
répondant humain, ainsi induite par l'être en détresse, soit
l'une des pièces maîtresses de l'entreprise autodestructrice.
La
suffisance de l'uvre d'art n'échappe pas à cette imminence
de la mort ; elle est même dans une filiation encore plus étroite
avec elle. Mais le traitement qu'elle lui apporte est à l'opposé
radical d'une posture. Elle fait " rendre l'âme " à l'uvre
de mort et transfère la destruction qui est sa force et sa matière
dans le mouvement infini d'une construction formelle. Elle déplace - serait-ce
d'un fil - et transfigure - serait-ce d'un trait - les conditions nativement restreintes
du destin humain. Le grand uvre qui uvre dans l'uvre d'art crée
à l'homme un lieu qui ne relève plus de l'espace et un cours qui
a rompu toute attache avec la scansion de la mort. Tel celui du fleuve entre source
et embouchure, son rythme est l'écoulement infini d'une substance toujours
même.
Atopie
et achronie de l'uvre fascinent le moi souffrant des incertitudes et précarités
d'un narcissisme ordinaire. Elle ne se contente pas de cumuler le pouvoir transgressif
propre à ces deux qualités d'être hors l'espace et de se dérouler
hors le temps. Elle les ramasse l'une sur l'autre, comme deux mains se joignent
dans le geste d'un " amour fou " se revendiquant crânement de
l'éternité. Elle engendre un morceau de réalité qui
se définit d'abord comme une unité nouvelle où de l'existence
prend forme, où de la vie se déploie, pleine de toutes les
forces et de toutes les formes nécessaires à l'animer.
L'unité
qui vaut en dernière raison à l'uvre d'art sa suffisance est
ce qui, en premier ressort, fascine celui qui la contemple, pour la raison très
vraisemblable qu'il découvre, dans le temps de sa contemplation, les voies
de sa propre unification. C'est pourquoi on s'y absorbe, se confondant en elle,
la confondant à soi. Voyez la fresque de Michel-Ange à la chapelle
Sixtine dans la scène dite La Création d'Adam : dans la main
tendue de Dieu d'où va éclore le premier homme, l'émotion
nous saisit de découvrir le geste de notre propre autoreprésentation
narcissique. Le geste même par lequel, dans les instants décisifs
de notre existence, marqués de la surprise d'un sortir de la nuit, nous
nous exposons au monde et lui accordons de s'imposer à nous.
L'unité
de l'uvre d'art est ce grâce à quoi nous existons, en un lieu
dont la clôture nous contient sans nous limiter, où nous foulons
un sol sur lequel la marche se confond avec l'envolée. Elle est ce grâce
à quoi nous habitons un temps qui se rit des catégories du présent-passé-futur,
ne connaît que l'expérience, cet éprouvé absolu, éphémère
dans sa durée, éternel par la présence qu'il nous offre et
l'unification nouvelle qu'il nous accorde.
L'uvre d'art est donc unique
par l'unité nouvelle de vie qu'elle sait créer et par le pouvoir
de nous unifier que nous découvrons à la contempler. Aussi lui revenons-nous
sans cesse. L'uvre d'un grand artiste peut se déployer au travers
d'une production intense, où tableaux, poèmes, symphonies se succèdent
comme autant de variantes de son inspiration. C'est cependant à telle pièce
particulière que, singulièrement et obstinément, nous lions
notre destinée. La sonate de Vinteuil puis la partition du Tristan
de Wagner s'imposent à l'esprit de Marcel Proust face au déchirement
intérieur qu'a provoqué en lui le soupçon d'une infidélité
d'Albertine. La Vue de Delft lui revient en mémoire lorsque, anticipant
la sienne propre, lui parvient la nouvelle de la mort de ce double fictif qu'est
pour lui Bergotte. L'écrivain porte en lui ces uvres comme des objets
très précieux auxquels, dans des moments de profond désarroi
et comme le dernier recours devant l'effondrement, il peut identifier son moi
chancelant. Et Delacroix, dans un temps où il a parfaitement maîtrisé
son art, peint une Mise au tombeau " d'après Titien ",
comme si, au cur même d'une création singulière et singulièrement
novatrice, le recours - et le retour - à une uvre déjà
créée s'avérait une nécessité identificatoire
impérieuse du moi de l'artiste.
De
même que, de tous les artistes que nous avons aimés, et indépendamment
de la force esthétique objective de leur uvre, c'est seulement à
l'un ou à quelques-uns d'entre eux que nous attachons ce qu'il y a de plus
passionné dans notre rapport à l'art, de même c'est seulement
à l'une ou à quelques-unes de leurs uvres que nous nous identifions
assez pour engager avec elles une liaison telle qu'elle devient désormais
un lieu de vie, où notre moi dépose, comme en un coffre indestructible,
les secrets de son identité. "
La
Dame à la licorne est vraiment une uvre " suffisante ".
D'où sa " puissance " à évoquer et vaincre la mort.
L'uvre et la vie de Jean Genet sont traversées par la mort de façon
intense. Une mort maîtrisée dans l' " unification " de
son moi.
Et plus loin,
p. 212-215, à propos du tableau d'Henri Rousseau, Moi-même, Portrait-paysage,
apparaît une analyse qui s'applique très bien à La Dame :
"
Attardons-nous sur cette " image " dont la contemplation du tableau
fait apparaître des caractéristiques inattendues. Cette image, avons-nous
découvert, n'appartient pas au champ du visible, elle n'est pas un produit
de la perception, elle se confond avec une réalité très profonde
de la vie de l'âme qui se révèle à travers elle. Elle
est donc de l'ordre d'une révélation ". Elle est porteuse d'une
charge émotionnelle puissante et spécifique, tendancieuse, puis
qu'elle appelle, en celui qui la rencontre, des représentations de contenu
sexuel ou sexué. Aussi la perception d'un filet rouge dans une flaque d'eau,
ou de deux personnages grossièrement appariés, nous a-t-elle évoqué
les représentations du féminin et du commerce amoureux.
Or
c'est justement là une autre caractéristique de cette image : elle
ne se manifeste qu'indirectement par l'effet qu'elle produit sur l'esprit de celui
qui l'observe ; comme le reflet dans le miroir d'un être invisible dont
nous serions tenus, par ce reflet même, d'affirmer l'existence. Tout repère
rationnel ou positif nous est soudainement ôté. Nous sommes devant
la réalité la plus étrange : l'image en question s'avérerait
le reflet en nous d'une réalité qui resterait invisible à
notre regard. Qui nous hante.
Pourquoi
donc parler encore d' " image " ? Les caractéristiques que nous
en avons dégagées nous conduisent pour l'instant à lui reconnaître
un " pouvoir imageant ". Mais l'imaginaire l'ensemble des évocations
qu'elle éveille ou féconde dans le moi de celui qui la rencontre
suffit-il à ce que nous identifiions cette réalité à
la catégorie de l'image ? En quoi est-elle une image ? Mais poursuivons
notre chemin, pariant que les doutes qui nous assaillent, là, ne sont que
l'expression de la frilosité que nos moi opposent à la pénétration
de ce mystère.
Nous lui avons découvert encore une autre caractéristique.
Cette image n'est pas une donnée immédiate de la perception, elle
est ce sur quoi une expression s'arrête soudain dans son développement.
" Arrêt sur image " vient aussitôt à l'esprit. Bien
que galvaudée par l'usage, l'expression existe, nous devons faire confiance
à la langue et à ce dont elle nous informe. S'arrêter implique
que le but du mouvement a été atteint ou qu'un obstacle l'a entravé.
L'image pourrait n'avoir que cette matérialité-là d'être
un but ou un obstacle ; ce qui s'oppose au mouvement de l'expression et le promeut.
De pouvoir ainsi ranger l'image sous le chef d'une force - ou d'une pulsion -
portant et déportant l'intention lui ôte une part de son étrangeté
mais rien de son mystère.
J'écoute
un analysant (me) parler. Dans le dispositif où nous nous trouvons, il
ne me voit pas, je ne le regarde pas. La méthode analytique tient son pouvoir
de donner à la langue unité et totalité expressive en suspendant
l'investissement visuel de la réalité extérieure chez ses
deux protagonistes. Soudain son discours s'interrompt. Le silence s'installe,
J'écoute maintenant ce silence. Les mots précédemment entendus
reviennent sans que je les convoque sur cette scène momentanément
désertée de mon écoute. Ils reviennent sur une scène
qu'ils n'ont jamais quittée, s'étant rangés sur l'arrière
de celle-ci, au fur et à mesure que de nouveaux mots énoncés
par l'analysant en occupaient le devant. Et, comme si dans le temps trop fugitif
qui leur avait été accordé, ils n'avaient pu accomplir la
totalité du jeu dont ils étaient porteurs, voilà que, comme
des acteurs changeant de personnage, ils dévoilent, soit individuellement
soit dans le ballet de leur regroupement, d'autres figures de leur " être
".
Ces mots
donc ont cheminé sur le sol du transfert et ont opéré une
transgression ; ils se sont détachés du moi qui les avait prononcés
et à l'intérieur duquel ils se fondaient en concepts, en "
purs signifiants ". Ils libèrent maintenant leurs signifiés,
restituent la matérialité même qui fut la leur, autrefois,
aux origines de l'esprit, quand le soleil de l'infantile faisait germer les premiers
émois ; quand ces signifiés n'étaient pas dissociables des
êtres, aimés ou haïs, qui en jouaient, ni des détails
du théâtre du monde où se déployaient ces passions
; quand mot et image ne faisaient qu'un.
Comme
le silence en musique ouvre, dans le discours symphonique, les intervalles où
se glisse l'image qui l'inspire, mon discours, à la faveur de ce silence
de la parole, se peuple des visions inspirées à l'enfant par l'écoute
aveugle du " discours amoureux " parental. "
2-
les fantasmes de noblesse
la noble naissance
Les
tapisseries de La Dame ont le port altier d'une aristocratie de haut lignage
: lions et licornes tenants d'armoiries, jeunes dames de grande noblesse par l'attitude,
le vêtement et les bijoux, chasse au faucon
Jean Genet se rêvait
une ascendance noble.
Edmund
White écrit p. 16-17 :
" Genet lui-même aimait à
fantasmer sur son nom, et cela sur un mode caractéristique. Il était
Jean l'évangéliste ; sa dernière uvre, posthume,
Un captif amoureux, était son Apocalypse. Ou encore se prévalait-il
de la ressemblance entre son patronyme et celui de la servante de Marie-Antoinette,
qui avait suivi la reine en prison Jeanne-Louise Genet Campan.
A
Cocteau et à Jean Marais, Genet assura qu'on l'avait baptisé ainsi
en souvenir du champ d'humbles genêts où sa mère l'avait abandonné.
" Quand je rencontre dans la lande, écrit-il en 1949 dans son roman
autobiographique, Journal du voleur, et singulièrement
au crépuscule, au retour de ma visite des ruines de Tiffauges où
vécut Gilles de Rais - des fleurs de genêt, j'éprouve à
leur égard une sympathie profonde. Je les considère gravement, avec
tendresse. Mon trouble semble commandé par toute la nature. "
Et il rêvait qu'il
était peut-être le roi de ces fleurs, et certainement leur représentant
sur la terre. Les fleurs de genêt, dit-il, " sont mon emblème
naturel, mais j'ai des racines, par elles, dans ce sol de France nourri des os
en poudre des enfants, des adolescents enfilés, massacrés, brûlés
par Gilles de Rais ". Se voir lié par son nom à la fois au
monde végétal et à Gilles de Rais est typique de l'esprit
de Genet, qui recherche les extrêmes en éludant tout ce qu'il y a
dans l'intervalle. Gilles de Rais se livrait au sadisme et au satanisme, à
l'alchimie et à la magie noire - et avait également été
le compagnon d'armes de Jeanne d'Arc. C'était aussi l'ultime défenseur
de la souveraineté féodale, En plaisantant à demi, Genet
déclara un jour qu'il ne s'était jamais intéressé
qu'à quatre femmes : la Sainte Vierge, Jeanne d'Arc, Marie-Antoinette et
Marie Curie. Le moins curieux n'est pas le biais par lequel il se relie personnellement,
grâce à son nom, à deux de ses personnages, Marie-Antoinette
et Jeanne d'Arc. Dans son dernier livre, il se débrouille même pour
se représenter en Christ de pietà, sur les genoux de la Vierge Marie.
Dans
une note de Journal du voleur, Genet mentionne que Cocteau l'appelait son
" genêt [sic] d'Espagne ", un de ces chevaux fougueux qu'aimaient
à monter les Trois Mousquetaires. (On trouve une autre allusion au genet
d'Espagne dans Le Balcon.) Le narrateur de Miracle de la rose invente
cette scène un gardien mariolle affecte de confondre Genet et les Plantagenêt,
enterrés dans la prison (jadis abbaye) de Fontevrault où le narrateur,
" Genet ", vient d'être expédié pour purger sa peine.
Là encore le rapprochement entre l'humble prisonnier et les rois d'Angleterre
(dont le nom avait d'abord été porté par Geoffroi, comte
d'Anjou, qui arborait une branche de genêt sur son cimier) illustre l'ampleur
et la tournure des associations de Genet. "
Plus
loin, p. 25-26, Edmund White écrit :
" C'était un
région où la ménagère tranchait la miche en tremblant
d'en couper un trop gros morceau, où l'on pataugeait en sabots dans la
boue, où les parcelles étaient minuscules à force de partages
entre héritiers, où régnaient les querelles de clocher et
où la plupart des gens parlaient un patois incompréhensible aux
autres Français et l'on ne parlait pas à Alligny le
même qu'à Saulieu ! Rien d'étonnant si, à en croire
un dicton populaire : " il ne vient du Morvan ni bonnes gens ni bons vents
".
Les riches
menaient, en revanche, grande vie. Ainsi les Chambure, les hobereaux du coin qui
demeuraient dans le village de Chaux, près d'Alligny, disposaient d'une
vingtaine de domestiques, dont une cuisinière, un valet de chambre, une
soubrette, un cocher et sa femme, outre, à l'extérieur, un vacher,
un gardien, des palefreniers, des jardiniers et autres hommes de peine. Les Chambure
habitaient une vaste demeure récente, bâtie avec les " pierres
nobles " d'un ancien château en mine de la région. Un Chambure
s'était illustré au dix-neuvième siècle en composant
un épais dictionnaire du patois morvandeau.
[
]
L'abbé du village, Lucien Charrault " écrivit en 1933 un livre
sur le Morvan, dans lequel il dressait obséquieusement l'arbre généalogique
de toutes les familles nobles du pays et en particulier celui des Chambure ,
s'appesantissant sur leurs vertus, citant in extenso leurs vers de circonstance
et leurs épitaphes, et énumérant les faveurs qu'ils avaient
reçues ou accordées.
La
suffisance béate restera pour Genet l'apanage constant de la noblesse,
un état de pur bonheur narcissique que les domestiques s'efforcent d'imiter
sans jamais pouvoir l'usurper longtemps. Les coloniaux anglais et français
des Paravents, Madame des Bonnes, la cour royale des Blancs dans
Les Nègres, et jusqu'aux grandes familles palestiniennes corrompues
d'Un captif amoureux tous ces aristocrates tirent vanité
de leur existence même et s'épanouissent dans la flatterie, l'admiration
que leur renvoient leurs inférieurs, comme autant de miroirs.
Genet
n'oublia jamais les Chambure ; dans Notre-Dame-des-Fleurs, il dit d'une
femme qu'elle a plus de noblesse qu'" un Chambure ".
Il
suffit de parcourir ses essais ou le long entretien qu'il accorda au romancier
allemand Hubert Fichte pour entrevoir à quel point la culture de Genet
était prodigieusement diverse de l'architecture brésilienne
au théâtre japonais. Toutes ces connaissances exogènes sont
scrupuleusement tenues à l'écart de ses romans, de ses pièces
et de ses poèmes, où les références culturelles se
limitent pratiquement à I'Eglise et à la noblesse - vocabulaire
somptueux, insidieux et toujours ambigu."
Edmund
White, p. 75 :
" C'est peut-être le deuxième roman de
Genet, Miracle de la rose, qui contient la description la plus complète
et la plus détaillée qui existe de Mettray à cette époque
(les pages consacrées à la colonie représentent la moitié
du livre), même si, naturellement, le récit est également
déformé par des élans lyriques, en particulier le désir
avoué de transmuer une expérience torturante en idylle, mélancolique
sans doute mais passionnée.
La tristesse est soulignée d'emblée.
Genet indique qu'il arriva pendant l'automne et précise plus loin que cette
période brumeuse de l'année est devenue pour lui la saison foncière
de sa vie.
"
Quand j'arrivai à la Colonie, un soir très doux de septembre, le
premier choc me fut causé, sur la route, au milieu des champs et des vignes
au moment du soleil couchant, par un chant de clairon [
] J'arrivais de la
prison de La Roquette et j'étais enchaîné au gardien qui me
conduisait. Je n'étais pas revenu de l'horreur, qu'arrêté
j'éprouvai, d'être soudain personnage de film, emporté dans
un drame dont on ne sait pas la suite affolante puisqu'elle peut aller jusqu'à
la coupure de la pellicule, ou son incendie, qui me feront disparaître dans
le noir ou dans le feu, mort avant ma mort. "
Dans
cette description de sa première impression de Mettray, Genet souligne
sa surprise de découvrir que c'était la nature elle-même,
et non un mur, qui retenait les jeunes détenus prisonniers. Par la suite,
Genet trouvera ce système d'autodiscipline hypocrite et grotesque puisqu'il
eût été impossible en tout état de cause d'ériger
un mur de trois mètres de haut autour de centaines d'hectares. Au reste,
les paysans du coin étaient de connivence avec l'administration de Mettray,
d'autant qu'ils recevaient une récompense s'ils capturaient un fuyard.
Enfin, les haies de lauriers qui entouraient les logements semblaient "électrisées
" à Genet et à tous les autres colons, tant ils étaient
hypnotisés par ces limites symboliques :
"
Mettray seul bénéficiait de cette prodigieuse réussite :
il n'y avait pas de murs, mais des lauriers et des bordures de fleurs; or personne,
à ma connaissance, ne réussit à s'évader de la Colonie
même [
] Nous étions victimes d'un feuillage en apparence inoffensif
mais qui, en face du moins osé de nos gestes, pouvait devenir un feuillage
électrisé, élevé à une tension telle qu'il
eût électrocuté jusqu'à notre âme. "
" la somptuosité de son style "
Edmund
White, p. 36 :
" Tous ses condisciples mentionnent son amour de la
lecture, qui allait de pair avec son attitude distante et efféminée,
avec son orgueil et sa conviction d'être supérieur à tout
le monde (et peut-être de haut lignage), ainsi que son horreur du travail
manuel. " Tranquille ", " renfermé ", " timide
" sont les mots qui reviennent dans la bouche de ses anciens camarades. "
Il était [
] peu souriant, peut-être un peu rêveur, parfois
un peu mystérieux ", se souvient l'un d'eux. Dans ses romans, Genet
sut préserver le sérieux extasié de ses lectures enfantines.
On pourrait même dire que la somptuosité de son style et la souplesse
de sa pensée sont les moyens qu'il a choisis pour transmettre au lecteur
adulte circonspect le même émerveillement qu'éprouve un enfant
quand il se perd dans un livre. L'écriture recherchée, pour paraphraser
les remarques de T. S. Eliot sur le style poétique, amadoue le chien de
garde de la conscience pour permettre au lyrisme de l'uvre de pénétrer
par effraction dans l'inconscient - ou du moins de l'envahir de lumière.
"
Mettray et son univers médiéval
Edmund
White, p. 88-89 :
" Mais s'il était parfaitement conscient
des maux de Mettray, Genet n'en était pas moins reconnaissant envers l'institution
qu'elle représentait. Paradoxalement il demeure son apologiste le plus
éloquent, peut- être le seul commentateur à y voir, en fait,
à la fois une distinction et une famille, ou du moins une tribu.
"
Les enfants que nous étions à Mettray avaient déjà
refusé la morale habituelle, la morale sociale de votre société
parce que, dès notre arrivée à Mettray, nous acceptions très
volontiers cette morale médiévale qui fait que le vassal obéit
au suzerain, donc une hiérarchie très, très nette et basée
sur la force, sur l'honneur, sur ce qu'on appelle encore l'honneur et sur la parole
donnée, qui était très importante. Tandis que, maintenant,
tout repose sur l'écrit au contraire, sur le contrat signé, daté
devant le notaire, devant les syndicats, etc.
à
16 ans, à Mettray
[
]
La Colonie pénitentiaire de Mettray était une entité si riche,
si singulière, avec ses champs, ses bois, avec son cimetière, son
histoire et sa légende... J'ose à peine vous parler de moi, mais
quand j'y étais enfermé, bois, cèdres, parcs, rivières,
champs, prés, étang, cimetière, tout était mien. Paradoxalement,
dans l'enfer, j'ai été heureux. J'y ai connu cette morale féodale
qui régit les prisonniers dans les bagnes d'enfants encore existants en
France. "
Mettray
exerça une influence directe sur le destin d'écrivain de Genet :
" Si écrire veut dire éprouver des émotions ou des sentiments
si forts que toute votre vie sera dessinée par eux, s'ils sont si forts
que seule leur description, leur évocation ou leur analyse pourra réellement
vous en rendre compte, alors oui, c'est à Mettray, et à quinze ans,
que j'ai commencé d'écrire ". Cette observation est d'autant
plus extraordinaire que c'est seulement une quinzaine d'années après
que Genet entreprendra son premier travail proprement littéraire. Pour
Genet, " écrire " était plus une tournure d'esprit, une
manière de mettre de l'ordre dans les émotions fortes, que l'art
de ciseler des phrases.
portrait
présumé de Jean Genet à Mettray
Comment
organisait-il donc ses sentiments à Mettray ? Exactement comme il ordonnera
par la suite ses romans autour des thèmes de l'honneur et
de la trahison, de la domination et de la soumission, de l'authenticité
et du travestissement, de la fidélité et du flirt. Dans la hiérarchie
médiévale de Mettray, Genet apprit à être le page,
le mousse, le vassal, et jusqu'à la coquette. C'est là qu'il éprouva
pour la première fois le désir vif, intense de la rivalité,
de l'amour et de la perte. Nombreux sont les classiques (Le grand Meaulnes
d'Alain-Fournier, A Separate Peace de John Knowles, Wilhelm Meister
de Goethe) qui relatent la passion, la frustration et, en fin de compte, la désillusion
de la jeunesse, mais dans les romans d'apprentissage de ce genre, le héros
éprouve et surmonte ses sentiments adolescents, même si cette rupture
débouchant sur la maturité apparaît comme une perte d'innocence
ou de bonté. Dans les romans de Genet, en revanche, ni le narrateur ni
les personnages n'évoluent. L'idée même de "maturité
" - valeur bourgeoise prônant l'adaptation au mariage, à la
famille et au travail est absente de la littérature de Genet,
comme l'est la notion compatible de " sagesse ". Genet (et ses personnages)
reste fidèle aux valeurs de Mettray. "
http://fr.wikipedia.org/wiki/Colonie_p%C3%A9nitentiaire_de_Mettray
3-
les tapisseries millefleurs
la nature
Edmund
White, p. 17 :
"
A Cocteau et à Jean Marais, Genet assura qu'on l'avait baptisé ainsi
en souvenir du champ d'humbles genêts où sa mère l'avait abandonné.
" Quand je rencontre dans la lande, écrit-il en 1949 dans son roman
autobiographique, Journal du voleur, - et singulièrement au crépuscule,
au retour de ma visite des ruines de Tiffauges où vécut Gilles de
Rais - des fleurs de genêt, j'éprouve à leur égard
une sympathie profonde. Je les considère gravement, avec tendresse. Mon
trouble semble commandé par toute la nature. " Et il rêvait
qu'il était peut-être le roi de ces fleurs, et certainement leur
représentant sur la terre. Les fleurs de genêt, dit-il, " sont
mon emblème naturel, mais j'ai des racines, par elles, dans ce sol de France
nourri des os en poudre des enfants, des adolescents enfilés, massacrés,
brûlés par Gilles de Rais ". Se voir lié par son nom
à la fois au monde végétal et à Gilles de Rais est
typique de l'esprit de Genet, qui recherche les extrêmes en éludant
tout ce qu'il y a dans l'intervalle. Gilles de Rais se livrait au sadisme et au
satanisme, à l'alchimie et à la magie noire et avait
également été le compagnon d'armes de Jeanne d'Arc. "
Une
des deux genettes de La Dame
l'isolement au sein d'une île
Edmund
White, p. 55 :
"
Lorsque Genet quitta le village pour entrer dans le monde réel, il était
protégé par la solitude inviolable qui l'accompagnait partout, invisible
mais réelle, pareille à la cellule invisible et ambulante que Dieu
avait accordée à l'une de ses saintes. " Il ne songea plus
qu'à observer es marques extérieures de sa douleur, mais puisqu'il
ne pouvait la rendre sensible aux yeux des gens, il dut la transporter en soi-même,
comme sainte Catherine de Sienne y transportait sa cellule ". Dans son dernier
livre, Un captif amoureux, il dira quarante ans après :
"
Dieu, qui de rien fit la Terre et le Ciel réussit un autre prodige. À
sainte Élisabeth, reine de Hongrie, par sa position de souveraine obligée
de se mouvoir dans le faste d'une cour royale, Dieu fit cadeau, construite pour
elle seule, à sa taille, à sa mesure, d'une cellule monacale invisible,
invisible aux yeux de son mari, à ceux des courtisans, des ministres, des
dames de la suite, une cellule enfin personnelle et secrète qui se déplaçait
quand se déplaçait la personne de la reine-sainte, que quatre yeux
seulement en pouvaient voir les murs intérieurs, les deux de la reine,
les deux de Dieu, et les quatre ne faisant qu'un. Ce Cyclope devait baisser sa
paupière unique. "
A
t-il perçu les îles clunisiennes comme des espaces de liberté,
étroits et limités comme la colonie agricole de Mettray ou une cellule
de prison, et des lieux d'isolement où tout rêve est possible de
réalisation ? Rejeté par la société ou se sentant
rejeté, il se décide à la solitude, se retire en lui-même,
retrouvant l'attitude d'Arthur Rimbaud et la nécessité d'une écriture
neuve pour se différencier et s'affirmer.
4-
les regards religieux sur La Dame
Jean Genet, élevé par Eugénie Régnier, une "
très pieuse mère nourricière ", a eu une éducation
religieuse poussée : baptisé à l'église d'Alligny
le 10 septembre 1910, il a reçu tout au long de sa petite enfance, une
éducation catholique. A 10 ans, il est membre de la chorale et enfant de
chur à l'église. A-t-il lu l'Apocalypse ? En a-t-il
une connaissance suffisante, approfondie ? Sa mère adoptive le destine
même à la prêtrise.
son prénom
de saint
Jean Genet est né le 19
décembre 1910. Sa mère, Camille Gabrielle Genet, âgée
de 22 ans, avait donné à son fils le prénom tout simple de
Jean, " comme si le dénuement de sa situation se résumait à
ce monosyllabe dépouillé. " (Edmund White)
"
Genet lui-même aimait à fantasmer sur son nom, et cela sur un mode
caractéristique. Il était Jean l'évangéliste
; sa dernière uvre, posthume, Un captif amoureux, était
son Apocalypse. "
"
Lorsque Jean-Paul Sartre intitula sa massive étude Saint Genet comédien
et martyr, il songeait à saint Genest, martyrisé sous le règne
de Dioclétien. Mais loin de lui avoir été ainsi imposée
par Sartre, la sainteté était un attribut que Genet s'était
lui-même conféré. Il y voyait un état de triomphe à
travers l'humilité, de souffrance et de transcendance. Vers la fin de Journal
du voleur, il annonce que ce sera son dernier livre puisque, dit-il, " j'attends
que le ciel me tombe sur le coin de la gueule. La sainteté c'est de faire
servir la douleur. C'est forcer le diable à être Dieu ". Et
dans son livre posthume, Un captif amoureux, Genet joue à se prendre
pour une sorte de saint musulman dont les ossements seront partagés entre
les Palestiniens avant d'être rassemblés et ensevelis au bord de
la mer Morte. " (Edmund White, p. 16-17)
Et
page 28 :
" Mes détracteurs ne s'élèveraient pas
contre un saint Camus. Pourquoi s'élèvent-ils contre un saint Genet
? Ecoutez... Enfant il m'était difficile sauf si je forçais
un peu ma rêverie d'imaginer que j'étais ou que je
pourrais devenir président de la République, général,
ou n'importe quoi d'autre. J'étais un bâtard, je n'avais pas droit
à l'ordre social. Qu'est-ce qui me restait si je voulais un destin exceptionnel
? Si je voulais utiliser au maximum ma liberté, mes possibilités
ou, comme vous dites, mes dons, ne connaissant pas encore mon don d'écrivain,
si je l'ai ? Il me restait à désirer être un saint, rien d'autre,
c'est-à-dire une négation d'homme. [
] Vous-même, n'avez-vous
pas l'impression que les plus grands saints ressemblent à des criminels,
si on y regarde un peu de près ? La sainteté fait peur. Il n'y a
pas d'accord visible entre la société et le saint. "
De
même que Genet résout son ambiguïté à l'égard
de l'Église en conservant la Vierge mais en expulsant le catholicisme,
de même ses sentiments ambivalents envers la France se divisaient en haine
pour la patrie et amour pour la langue maternelle, si bien que son dégoût
de la France qui, dirait-il, comptait moins pour lui que le plus lointain pays
du monde, ne l'empêcherait jamais de rester fidèle au français
: encore en 1976, il rappelait qu'en écrivant ses romans il avait voulu
façonner le langage d'une manière aussi belle que possible et que
le reste lui était complètement indifférent. "
Et
p. 54-55 :
" Genet indique qu'en écrivant son livre (Notre-Dame-des-Fleurs)
ces noms de guerre (de divers travestis) lui sont apparus dans une odeur d'encens,
ce qui lui fait penser à la statue de plâtre de la Vierge Marie,
dont Alberto était amoureux, et derrière laquelle lui, Genet, cachait
une fiole contenant son sperme. Lorsque les tantes se présentent à
la barre, écrit Genet, " quelques-unes prononçaient quelques
mots épouvantables de précision, comme " Il habitait 8, rue
Berthe " ou " C'était le 17 octobre que je l'ai rencontré
pour la dernière fois. C'était chez Graff ". La date est celle
du départ de Genet d'Alligny, bien que, typiquement, il la lie à
Graff, célèbre café homosexuel de Pigalle - " profanation
" de Berthe et du village, comme la fiole de foutre est une profanation de
la Vierge."
Et comment oublier que dans la tradition du Tétramorphe, le
symbole de Jean l'Evangéliste est l'aigle (d'où son surnom
: " l'Aigle de Patmos"), que nombre d'uvres ou d'édifices
religieux arborent !
http://fr.wikipedia.org/wiki/Jean_(ap%C3%B4tre)
http://jfbradu.free.fr/mosaiques/germigny/evangelistes.htm
Se
trouvent ainsi réunis dans ce " passage " (géographique
et littéraire) :
- le prénom Jean et son caractère sacré
et prophétique
- l'aigle blanc, symbolique de l'auteur de l'Apocalypse
et de la Pologne
- la parole prophétique d'une apparition merveilleuse,
d'une blancheur immaculée, calquée sur le texte biblique
L'espace
géographique inter-nations d'un blond beurré et l'espace de la page
(peut-être de la couleur de celle que vous lisez en ce moment) sur laquelle
Jean Genet écrit sont un même " paysage ", réel
en 1937 quand Jean Genet y pénétrait, et mental sous forme
d'une image re-convoquée par le souvenir et embellie par l'écriture.
Mais, passée
ou présente, cette " image ", " naturellement
je désirais la posséder mais encore en agissant sur elle. "
La
licorne, démiurge luciférienne car " porteuse de
lumière ", de son rostre peut écrire le Logos créateur,
comme l'évangéliste son Apocalypse, comme l'écrivain
son uvre.
La licorne est le symbole
totalisant le Père créateur, la Mère vierge et aimante, le
Fils souffrant et la certitude d'une vie nouvelle
" Je suis né à Paris le 19 décembre 1910. Pupille de
l'Assistance Publique, il me fut impossible de connaître autre chose de
mon état civil. Quand j'eus vingt et un ans, j'obtins un acte de naissance.
Ma mère s'appelait Gabrielle Genet. Mon père reste inconnu. J'étais
venu au monde au 22 de la rue d'Assas " (Journal du voleur, p. 48).
De sa mère, il ne retient que le second prénom : Gabrielle et non
son prénom usuel : Camille. Se rejoue ici la scène légendaire
de l'Annonciation où l'archange Gabriel vient annoncer à la vierge
Marie sa future grossesse due à Dieu. Comme Jésus, voici Jean Genet
né d'une vierge et d'un père "inconnu", le Très-Haut
; et raccroché à la lignée de David comme Jésus l'était
par Joseph, son père "adoptif".
5-
" Dans ce ciel de midi doit planer, invisible, l'aigle blanc ! "
Le blason de la Pologne est blasonné : de gueules à l'aigle
d'argent, armée, becquée et couronnée d'or. En Pologne il
est communément appelé Aigle Blanc.
http://fr.wikipedia.org/wiki/Armoiries_de_la_Pologne
Dans
ce blason, se retrouvent les trois couleurs : blanc - rouge - or et un animal
fabuleux.
Pour D.
H. Lawrence (p. 72-73), le blanc est aussi le sang qui agit comme pure lumière
blanche, le rouge n'étant que la couleur du sang que lui donne l'hémoglobine
des globules rouges.
" Il y a une éternelle correspondance vitale
entre notre sang et le soleil ; il y a une éternelle correspondance vitale
entre nos nerfs et la lune. Si nous perdons le contact et l'harmonie avec eux,
tous deux se retournent contre nous comme deux grands dragons de destruction.
Le soleil est une source de vitalité sanguine, il rayonne de force à
notre égard. Mais si, une fois, nous lui résistons en disant : "
Ce n'est qu'un ballon de gaz ! ", alors la vraie vitalité rayonnante
de sa lumière se change en une subtile force désagrégeante
et nous défait. De même pour la lune, les planètes, les constellations
: ce sont ou nos créateurs ou nos destructeurs, il faut choisir. "
Ce double parallèle
entre soleil / sang et nerf / lune se retrouve dans
le passage de Jean Genet quand il oppose le " mystère de la nature
diurne " et " la nuit
toute peuplée du fantôme de
Vacher, le tueur de bergers ".
Plus
loin, p. 113-115, D. H. Lawrence revient sur la correspondance païenne
du blanc et du sang : " Comment le sang serait-il blanc ? Mais parce que
le sang était la vie même, la vraie vie, et le vrai pouvoir vital
était d'un blanc éclatant. À l'origine, le sang était
la vie ; considéré comme un pouvoir, il était semblable
à la lumière blanche. L'écarlate et la pourpre n'étaient
que les revêtements du sang : ce sang vif vêtu d'un rouge éclatant,
son être même était pure lumière [
] Le Grand Jupiter
est le soleil, le sang vivant : le cheval blanc. "
Puis,
D. H. Lawrence commente ce passage (Apo, 6-2) : " Je regardai, et
voici, parut un cheval blanc. Celui qui le montait avait un arc ; une couronne
lui fut donnée, et il partit en vainqueur et pour vaincre. "
Souvenons-nous
de l'aigle polonais, blanc et couronné d'or sur son champ rouge ; mais
aussi de cette mer de seigle dorée, des bouleaux immobiles aux troncs blancs.
Pensons à " la peur " du jeune fugitif au sang en plein émoi
et la rencontre attendue d'un miracle, pourquoi pas d'une licorne, couronnée
de son rostre, qui le relierait à sa mère.
"
On rencontre encore et partout le cheval blanc comme symbole. Napoléon
lui-même n'en avait-il pas un ? Les anciennes significations déterminent
nos actes, même si nos esprits sont devenus inertes.
Mais
le cavalier au cheval blanc porte une couronne. C'est le moi royal, c'est mon
moi véritable, et son cheval est le mana entier de l'homme, c'est
mon propre moi, mon ego sacré, entraîné par l'Agneau
dans un nouveau cycle d'action, chevauchant vers les victoires pour vaincre l'ancien
moi par la naissance d'un moi nouveau. C'est lui, en vérité, qui
va conquérir tous les autres " pouvoirs " du moi. Il chevauche
pour vaincre, avec des flèches comme le soleil, et non avec l'épée,
car l'épée implique aussi le jugement, et il est mon moi dynamique,
mon moi puissant. Son arc est l'arc bandé du corps, comme la lune croissante.
L'action
réelle du mythe, ou de l'imagerie rituelle, a été censurée.
Le cavalier sur son cheval blanc apparaît puis s'évanouit. Mais nous
savons pourquoi il est apparu. Et nous savons pourquoi il a pour parallèle
le dernier cavalier au cheval blanc de la fin de l'Apocalypse, qui, lui, représente
le divin Fils de l'Homme chevauchant vers la victoire finale sur " les rois
". Les fils de l'homme ordinaires, comme vous et moi, nous chevauchons vers
de petites victoires, mais le grand Fils de l'Homme enfourche son cheval blanc
après la dernière conquête universelle, et conduit ses armées.
Sa chemise est rouge du sang des rois, et sur sa cuisse est inscrit son titre
: Roi des Rois. Seigneur des Seigneurs. (Pourquoi sur sa cuisse ? Devinez. Pythagore
n'a-t-il pas montré sa cuisse dorée dans le temple ? Ignorez-vous
le vieux et puissant symbole méditerranéen de la cuisse ?) Mais
de la bouche du dernier cavalier au cheval blanc sort la fatale épée
du logos du jugement. Revenons plutôt en arrière, retrouvons l'arc
et les flèches de celui qui n'a pas reçu le pouvoir de juger.
Le
mythe a été réduit aux purs symboles. Le premier cavalier
se contente de partir à l'assaut. Après le deuxième cavalier,
la paix est perdue, les conflits et la guerre prennent possession du monde - en
réalité, du monde intérieur du moi. Après le cavalier
au cheval noir, qui porte la balance pesant les justes mesures et les vraies proportions
des " éléments " dans le corps, le pain devient rare,
alors que l'huile et le vin ne sont pas touchés. Le pain, l'orge, est ici
le corps ou la chair symboliquement sacrifiés comme l'orge jetée
sur la victime dans les sacrifices grecs : " Prends avec toi le pain de mon
corps. " Le corps de chair est maintenant réduit à l'état
de famine, ravagé. Enfin, avec le cavalier au cheval pâle, le moi
ultime, physique et dynamique, meurt de la " petite mort " de l'initié,
et nous pénétrons dans l'Hadès, c'est-à-dire dans
le monde souterrain de notre être.
Nous
entrons dans l'Hadès, le monde souterrain de notre être, car notre
corps est à présent " mort ".
Ce
passage par l'analyse de l'Apocalypse par D. H. Lawrence me semble intéressante
car il s'appuie sur les mythes païens antiques et leur symbolique.
D.H.
Lawrence, p. 153-157, écrit :
" A l'époque de l'Apocalypse,
le vieux dragon était rouge. Aujourd'hui il est gris. Il était rouge
car il représentait un état ancien, les anciennes formes du pouvoir,
de la royauté, de la richesse, du faste et du désir. Au temps de
Néron, ces anciennes formes de pompe et de convoitise exacerbée
étaient vraiment devenues malsaines, elles étaient devenues le dragon
nauséabond, le dragon rouge, qui dut céder la place au dragon blanc
du Logos. L'Europe n'a jamais connu le dragon vert. Notre ère s'ouvrit
avec la glorification du blanc, du dragon blanc. [je souligne] Elle s'achève
avec la même vénération sanitaire du blanc, mais le dragon
blanc est maintenant un gros ver blanc, sale et grisâtre. Notre couleur,
c'est le blanc sale ou le gris.
Mais,
de même que notre Logos a commencé par un blanc éblouissant
(Jean de Patmos insiste sur ce point, avec les robes blanches des saints) et finit
dans un sans-couleur crasseux, le vieux dragon rouge était au début
d'un rouge magnifique. Le plus ancien des vieux dragons était rutilant,
rouge or et rouge sang, rouge vif, rouge ardent, comme le vermillon le plus aveuglant.
Cet éclatant rouge or était la première couleur du premier
de tous les dragons, dans un très lointain passé, bien avant l'aube
de l'Histoire. Les hommes de ces temps lointains regardaient le ciel, et le décrivaient
en termes de rouge et d'or, et non en termes de vert et de blanc éblouissant.
En termes de rouge et d'or, et le reflet du dragon sur le visage de l'homme, dans
ces temps lointains d'un très lointain passé, exhibait l'éclat
d'un vermeil incandescent. Les visages des héros et des chefs héroïques
brillaient alors comme des pavots traversés de soleil. C'était la
couleur de la gloire : la brillante couleur du sang farouche, qui était
la vie même. Le sang rouge, battant et brillant d'un rouge éclat,
était le mystère suprême: le sang lent, pourpre, lourd et
sombre, mystère royal.
Les
anciens rois de Rome, de l'ancienne Rome, qui étaient, en fait, en retard
d'un millier d'années sur la Méditerranée orientale, enduisaient
leur visage de vermillon pour rendre leur royauté divine. Les Peaux- Rouges
de l'Amérique du Nord en font autant. Ils ne sont rouges que grâce
à cette peinture de pur vermillon qu'ils appellent " médecine
". Mais les Indiens appartiennent à un stade de culture, et de religion,
presque néolithique. Quelles ténébreuses rétrospectives,
ces arrivées d'hommes au visage écarlate dans les pueblos du Nouveau-Mexique.
Des dieux ! On dirait des dieux ! C'est le dragon rouge, le magnifique dragon
rouge.
Mais il a
vieilli, et ses formes de vie se sont figées. Même dans les pueblos
du Nouveau-Mexique, où les formes de vie anciennes sont celles du grand
dragon rouge, le plus grand des dragons, même là les formes de vie
sont réellement malsaines, et les hommes y ont une passion pour le bleu,
le bleu de la turquoise, pour échapper au rouge. Turquoise et argent, telles
sont les couleurs de leur désir. Car l'or appartient au dragon rouge. Dans
les temps très anciens, l'or était la matière même
du dragon, son corps souple et rayonnant était le reflet précieux
de sa gloire ; et les hommes aussi se couvraient d'or tendre en signe de gloire,
comme les guerriers égéens ou étrusques dans leurs tombeaux.
Ce n'est que lorsque le dragon rouge devint mauvais et que les hommes commencèrent
d'aspirer au dragon vert et aux brassards d'argent que l'or perdit son sens glorieux
et devint une monnaie. Qu'est-ce qui change l'or en monnaie ? demandent les Américains.
Quoi donc, sinon la mort du grand dragon d'or et la venue du dragon vert et argent.
L'amour des Perses et des Babyloniens pour le bleu turquoise, celui des Chaldéens
pour le lapis-lazuli montrent à quel point ils s'étaient éloignés
du dragon rouge. Le dragon de Nabuchodonosor est bleu, c'est une licorne aux écailles
bleues et à la démarche altière. Il est hautement civilisé.
Dragon
de la voie processionnelle - Babylone
604-562 av. n.è. - Nabuchodonosor
II
Musée d'Archéologie - Istanbul
http://lecarnetdeburidan.unblog.fr/2008/03/14/exposition-babylone/
Le
dragon de l'Apocalypse est une bête beaucoup plus ancienne, mais
devenue un mauvais génie.
Le rouge demeurait pourtant la couleur royale
: le vermillon et le pourpre (qui n'est pas violet mais cramoisi la couleur même
du sang vivant) étaient réservés aux rois et aux empereurs.
Ils devinrent les couleurs du mauvais dragon. Ce sont celles dont l'auteur de
l'Apocalypse revêt la grande prostituée qu'il appelle Babylone. La
couleur même de la vie devient celle de l'abomination.
Aujourd'hui,
à l'époque du dragon blanc-sale du Logos et à l'âge
de l'acier, les socialistes ont repris la plus vieille des couleurs de vie, et
le monde entier tremble à la seule idée du vermillon. Pour la majorité,
aujourd'hui, le rouge est couleur de destruction. " Rouge égale danger
", disent les enfants. Ainsi le cycle s'accomplit : les dragons rouge et
or des Âges d'or et d'argent, le dragon vert de l'Âge de bronze, le
dragon blanc de l'Âge du fer, et le dragon d'un blanc-sale, ou dragon gris
de l'Âge d'acier : et, enfin, un nouveau retour au premier dragon rutilant.
Chaque
époque héroïque se tourne instinctivement vers le dragon rouge
ou le dragon d'or, de même que chaque époque non-héroïque
s'en détourne. Comme l'Apocalypse, où le rouge et le pourpre
sont objets d'anathèmes.
Le grand dragon rouge de l'Apocalypse a sept
têtes, chacune couronnée : signe que son pouvoir est en lui-même
royal. Les sept têtes sont ses sept vies, autant de vies que l'homme a de
natures et qu'il y a de " puissances " dans le cosmos. Ces sept têtes
doivent être tranchées, c'est-à-dire que l'homme doit accomplir
une nouvelle série de sept conquêtes, sur le dragon cette fois. La
lutte se poursuit. "
6-
" la création spontanée d'une faune fabuleuse "
les transes, les hallucinations
Edmund
White, p. 68 :
" Pendant deux mois, décembre 1925 et janvier 1926,
Genet semble avoir suivi un traitement neuropsychiatrique sous la direction du
docteur Heuyer peut-être la thérapie que Sartre situe inexactement
un peu plus tard, lorsque Genet se trouvait à Mettray. Sartre imagine Genet
méditant avec tant d'intensité sur ses souffrances qu'" il
tombe parfois dans un ébahissement si profond qu'il en pense perdre connaissance
au réfectoire de Mettray il reste la fourchette en l'air, l'il vague,
il oublie de manger. C'est au point que le directeur de la colonie, sur le rapport
des surveillants, juge bon de le faire examiner par un psychiatre ". Sartre
juge ces rêveries très saines, puisqu'elles pro cèdent de
la stupéfaction même de Genet devant les injustices qu'il subit.
Cet ébahissement révèle qu'il croit au sens des événements.
Pour Genet le monde n'est pas absurde mais plein de significations : " La
vie de cet adolescent est une expérience ininterrompue, dans l'horreur,
dans la stupeur, dans l'espoir, du Sacré en lui et hors de lui. "
Naturellement
ces transes, ces " ébahissements " auraient pu être des
crises de petit mal, cette forme mineure d'épilepsie dont sont atteints
certains enfants et adolescents et qui dans la moitié des cas disparaît
spontanément vers vingt ans. Serait-ce à cause de cette épilepsie
que Genet fut hospitalisé pour " une maladie, peut-être assez
grave, pas grave, infantile en tout cas " ? Serait-ce la raison pour laquelle
il fut deux mois en observation psychiatrique ? Aurait-elle un rapport avec cette
fébrilité qui le poussait sans cesse à fuguer, bien qu'il
sût que chaque escapade risquait d'aggraver sa situation ?
Et
page 72, est relatée l'hospitalisation de Jean Genet à la Petite-Roquette
pendant 3 mois, à compter du lundi 8 mars 1926 :
" C'est peut-être
à la Petite-Roquette que Genet commença de se droguer à ses
propres fantasmes, qu'il commença de se raconter des histoires. Être
isolé dans une cellule au cur de Paris était une situation
étrangement provocante. L'isolement, l'oisiveté et le silence obligatoire
visaient à menacer les limites de l'ego, à gommer cette frontière
incertaine entre le soi et son environnement. Si la personnalité se renforce
dans le commerce avec les autres, elle est diluée par la solitude prolongée.
Dans ces circonstances, la plupart des gens s'enfoncent si profondément
dans des rêveries incontrôlées qu'ils ne font plus de différence
entre fantasme et réalité, entre l'imagination et ses inventions.
Bien qu'il passe souvent pour un rêveur, l'artiste, paradoxale ment, acquiert
une plus grande maîtrise de ses conversations imaginaires que les gens ordinaires.
S'il les domine et n'est pas dominé par elles, c'est grâce précisément
à l'arbitraire souverain du conteur, libre d'abréger, de répéter,
refondre et reformuler ses fantaisies à sa guise. "
7-
la mort
les jumeaux
-
le compagnon
"
J'étais avec un autre garçon expulsé comme moi par la police
tchèque, mais je le perdis de vue très vite, peut-être s'égara-t-il
derrière un bosquet ou voulut-il m'abandonner : il disparut. "
-
les douaniers
" Longtemps je restai accroupi au bord, attentif
à me demander ce que recelait ce champ, si je le traversais quels douaniers
les seigles dissimulaient. "
Je
voudrais voir dans ces deux jeunes hommes et dans ces douaniers que je soupçonne
être deux, les deux témoins de l'Apocalypse (11, 1-12) que
certains pensent être Moïse et Elie :
" Je donnerai à
mes deux témoins le pouvoir de prophétiser, revêtus de sacs,
pendant mille deux cent soixante jours. Ce sont les deux oliviers et les deux
chandeliers qui se tiennent devant le Seigneur de la terre. Si quelqu'un veut
leur faire du mal, du feu sort de leur bouche et dévore leurs ennemis.
"
D. H. Lawrence
voit en eux " les jumeaux ". (p. 133-134)
" Leurs cadavres
restent sur la voie de la grande cité, et les habitants de la terre se
réjouissent de voir morts ces deux êtres qui les ont tourmentés.
Mais après trois jours et demi, l'esprit de vie venant de Dieu entre en
eux, ils se dressent sur leurs pieds, et une voix forte venant des cieux leur
dit : " Montez ici. " Ils montent donc au ciel sur une nuée et
leurs ennemis les contemplent avec effroi.
Il
semble que nous assistions ici au vestige d'un mythe très ancien relatif
aux mystérieux jumeaux, " les petits êtres " qui avaient
un tel pouvoir sur la nature humaine. Mais les auteurs d'apocalypse, tant juifs
que chrétiens, ont occulté ce passage de la Révélation
: ils ne lui ont donné aucune espèce de signification.
Les jumeaux
appartiennent à un culte très ancien, apparemment commun à
tous les peuples européens antiques ; mais il semble qu'il s'agissait de
jumeaux célestes, appartenant à la voûte des cieux. Pourtant,
quand les Grecs les ont identifiés aux Tyndarides Castor et Pollux, dans
l'Odyssée, ils vivaient déjà alternativement au ciel
et dans l'Hadès, témoins des deux lieux. Et comme tels, ils peuvent
être d'une part les chandeliers ou les étoiles du ciel, d'autre part
les oliviers du monde souterrain.
Plus
un mythe est ancien, plus il pénètre dans les profondeurs de la
conscience humaine et plus variées sont les formes qu'il prend à
sa surface. Nous devons nous rappeler que certains symboles, et celui des jumeaux
en est un, sont capables de ramener même notre conscience moderne deux,
trois, quatre mille ans en arrière, voire plus loin encore. Le pouvoir
de suggestion est des plus mystérieux. Il peut ou bien ne pas fonctionner
du tout, ou bien reporter l'inconscient en arrière dans une grande embardée
cyclique à travers les âges ; il peut aussi s'arrêter en chemin.
"
Plus avant
dans son analyse, p. 137-138, Lawrence précise :
" Ces petits
êtres, ces rivaux, sont donc les " témoins " de la vie,
car c'est entre leur opposition que pousse l'Arbre de Vie lui-même, à
partir de sa racine terrestre. Ils ne cessent de porter témoignage devant
le dieu de la terre ou de la fécondité. Et ils ne cessent "
d'assigner à l'homme une limite. Dans chaque activité terrestre
ou physique, ils lui disent : " jusque-là et pas plus loin ".
Ils limitent chaque action, chaque action " terrestre " à son
propre champ, et la contrebalancent par une action opposée. Étant
les dieux des portes, ils sont aussi ceux des frontières - chacun à
jamais jaloux de l'autre, et lui imposant sans cesse des bornes. Ils rendent la
vie possible, mais ils la rendent limitée. [je souligne]
Comme
les testicules, ils détiennent la balance phallique, ce sont les deux témoins
du phallus. Ce sont les ennemis de l'ivresse, de l'extase, de la licence et de
la liberté licencieuse. Ils ne cessent de témoigner devant Adonaï.
C'est pourquoi les habitants des cités licencieuses se réjouissent
quand la bête surgie de l'abîme, qui est le dragon infernal et le
démon destructeur du monde ou de l'homme physique, tue enfin ces deux "
gardiens ", considérés en Égypte et à Sodome
comme des sortes de policiers. Leurs cadavres reposent sans sépulture
pendant trois jours et demi : c'est la moitié d'une semaine, la moitié
d'un cycle durant lequel les hommes abandonnent toute retenue et toute décence.
Le
texte même : " ils se réjouissent, sont dans l'allégresse
et s'envoient des présents les uns aux autres ", suggère une
Saturnale païenne, comme l'Hermaia en Crète ou la Sakaia à
Babylone, la fête du délire. Si c'est ce que l'auteur de l'Apocalypse
veut exprimer, cela montre combien il suivait de près les pratiques païennes,
car les anciennes Saturnales représentaient la rupture, du moins l'interruption
d'une règle ou d'une loi. Cette fois c'est la " loi naturelle"
des deux témoins qui est brisée. Les hommes échappent aux
lois, même à celles de leur propre nature, pendant un certain temps
: trois jours et demi, la moitié de la semaine sacrée, ou une "
courte " période de temps. "
le jour VS la nuit
D.H.
Lawrence (p. 159-161)
" Les plus anciennes idées de l'homme sont
purement religieuses et on n'y trouve pas la moindre notion de Dieu ou
de dieux. Dieu et les dieux entrent en scène quand l'homme est " tombé
" dans un sentiment de séparation et d'isolement. Les plus anciens
philosophes, Anaximandre, avec son Illimité divin et les deux éléments
divins, Anaximène, avec son " air " divin, reviennent au grand
concept du cosmos dans sa nudité, avant qu'il y eût Dieu. Et pourtant,
ils savent tout sur les dieux du VIe siècle, mais cela ne les intéresse
pas vraiment. Même les premiers pythagoriciens, qui étaient religieux
au sens traditionnel, l'étaient surtout par leurs conceptions des deux
formes primaires, le Feu et la Nuit ou le Feu et l'Obscur, ce dernier étant
conçu comme une sorte d'air épais ou de vapeur. Ces deux formes
étaient le Limité et l'Illimité - la Nuit, l'Illimité,
trouvant sa Limite dans le Feu. Ces deux formes primitives, en constante opposition,
prouvent leur unité par leur contrariété même.
Héraclite dit que toutes choses sont convertibles en feu et que le soleil
est chaque jour nouveau. " Frontières entre le levant et le couchant
: l'Ourse. Et, face à l'Ourse, est la borne de Zeus le Lumineux. "
Zeus le Lumineux figure ici le lumineux ciel bleu ; aussi la frontière
de son domaine est-elle l'Horizon, et Héraclite veut probablement dire
qu'à l'opposé de l'Ourse, c'est-à-dire en bas, aux antipodes,
il fait toujours nuit, et la Nuit vit de la mort du Jour, comme le Jour vit de
la mort de la Nuit.
Tel
est l'état d'esprit, étrange et fascinant, des grands hommes des
Ve et IVe siècles avant J.-C., état d'esprit révélateur
de l'ancienne pensée symbolique. La religion tournait déjà
à la morale ou à l'extase, et avec les Orphiques, la triste idée
" d'échapper à la roue des naissances " avait commencé
à abstraire les hommes de la vie. Mais la science primitive est une source
de la religion, la plus ancienne et la plus pure. L'esprit de l'homme remontait,
là-bas en Ionie, à la plus ancienne conception religieuse du cosmos,
à partir de laquelle le cosmos scientifique devait être élaboré.
"
cette lettre à André Gide (Edmund White, p. 114) :
"
JEAN GENET
Poste restante
Barcelona
Ma lettre est insincère, Maître,
elle est guindée et ne dit pas la détresse qui est la mienne. Détresse
beaucoup plus morale que matérielle. Ah! vous me permettrez de vous écrire
un jour très librement, que je puisse vous dire tout mon mal. Je suis gêné
par beaucoup de littérature aussi. On parle de vous, beaucoup. Ce matin,
j'ai vu dans " Clarisme " un article sur le Gidisme ; on écrit
sur vous des volumes. Moi, je ne puis me souvenir que d'une très courte
demi-heure avec vous, de la bonté que j'ai vu [sic] dans vos yeux, de votre
émotion même (qu'alors je croyais simulée). Vous me demandâtes
si j'avais des amis, un ami je n'ai pas un ami.
JEAN GENET "
"
Genet ne reçut pas de réponse. Il écrivit cette lettre le
12 décembre 1933 et ne donnait à Gide que jusqu'au 16 pour répondre.
Lorsqu'elle parvint à Paris, Gide se trouvait à Lausanne, d'où
il ne rentra que le 19, date à laquelle Genet avait probablement déjà
quitté Barcelone. C'est un curieux document, l'expression torturée,
embarrassée d'un autodidacte qui fait d'étranges fautes de syntaxe
en s'empêtrant dans les constructions grammaticales les plus compliquées.
En même temps y vibre ce glas qui résonnera d'un bout à l'autre
de l'uvre de Genet. Tous ses écrits parlent de la mort, de l'attente
de la mort, des morts auxquels ils sont dédiés, du sentiment d'être
déjà mort ; et ne déplore-t-il pas dans cet appel au secours
que " ce qui manque c'est la Vie " ? " [je souligne].
vers
1937 - photographie d'identité
----------------------------------
Retour
au texte de Jean Genet
"
La tapisserie intitulée La Dame à la
Licorne m'a bouleversé pour des raisons que
je n'entreprendrai pas ici d'énumérer.
Mais,
quand je passai, de Tchécoslovaquie en Pologne, la frontière,
c'était un midi, l'été. La ligne idéale
traversait un champ de seigle mûr, dont la blondeur était
celle de la chevelure des jeunes Polonais ; il avait la douceur
un peu beurrée de la Pologne dont je savais qu'au cours de l'histoire
elle fut toujours blessée et plainte. J'étais avec un
autre garçon expulsé comme moi par la police tchèque,
mais je le perdis de vue très vite, peut-être s'égara-t-il
derrière un bosquet ou voulut-il m'abandonner : il disparut.
Ce
champ de seigle était bordé du côté polonais par un
bois dont l'orée n'était que de bouleaux immobiles. Du côté
tchèque d'un autre bois, mais de sapins. Longtemps je restai accroupi
au bord, attentif à me demander ce que recelait ce champ, si je le traversais
quels douaniers les seigles dissimulaient. Des lièvres
invisibles devaient le parcourir. J'étais inquiet. A midi, sous
un ciel pur, la nature entière me proposait
une énigme, et me la proposait
avec suavité.
S'il se produit quelque chose, me disais-je, c'est l'apparition
d'une licorne. Un tel instant et un tel endroit ne peuvent accoucher
que d'une licorne.
La
peur, et la sorte d'émotion que j'éprouve toujours quand je passe
une frontière, suscitaient à midi, sous un soleil de plomb la
première féerie. Je me hasardai dans
cette mer dorée comme on entre dans
l'eau. Debout je traversai les seigles. Je m'avançai lentement,
sûrement, avec la certitude d'être le personnage
héraldique pour qui s'est formé un blason naturel
: azur, champ d'or, soleil, forêts. Cette imagerie où je tenais ma
place se compliquait de l'imagerie polonaise.
(des
oppositions et des points communs)