LE PRINTEMPS
de Sandro BOTTICELLI
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3- troisième niveau d'interprétation Les textes alchimiques
Botticelli et l'hermétisme
Sandro Botticelli (1445-1510) était-il attentif au travail des alchimistes ? Etait-il un lecteur assidu de leur littérature ? Cela est possible si l'on pense au renouveau de l'ésotérisme, de l'hermétisme et de l'alchimie en Italie du vivant du peintre. Au
moins deux événements historiques sont à considérer
pour expliquer l'engouement à la Renaissance envers l'alchimie, l'hermétisme
et le néo-platonisme, amalgame de la philosophie de Platon et de l'occultisme
de l'Antiquité tardive : Cosme
de Médicis (1389-1464) confia à l'humaniste florentin Marsilio
Ficino la traduction latine des manuscrits de Platon, de Plotin et du Corpus
hermeticum. En 1463, le Corpus hermeticum fut ainsi le premier texte
grec à être traduit et publié par Marsile Ficin, soulignant
le prestige d'Hermès Trismégiste, un mystérieux sage égyptien,
considéré comme l'auteur de ces traités hermétiques.
Le Corpus hermeticum exposait une sagesse très ancienne : les humanistes
florentins crurent que son auteur l'avait recueillie des lèvres mêmes
de Platon. Comme Hermès Trismégiste était confondu avec Moïse
tenu pour l'auteur de la Genèse, le Corpus hermeticum revêtait
par analogie un caractère sacré. Évidemment,
Marsile Ficin (1433-1499), Pico della Mirandola (1463-1494), Egidio de Viterbo
(1469-1532), et les autres Humanistes ne doutaient pas de l'orthodoxie de leur
foi. Leur néo-platonisme para-chrétien et l'hermétisme exaltent
la condition humaine et l'apothéose de l'être humain, sans renoncer
pour autant au contexte chrétien. Pic
de la Mirandole, aidé par des juifs
espagnols, apprend l'hébreu ; un mystérieux personnage venu d'Espagne,
du nom de Flavius Mithridate, l'initie à la Kabbale. Pour Pic, la Kabbale
précède et explique l'Ancien Testament ; il considère que
Magia et Gabala confirment la divinité du Christ. La
croyance universelle en une vénérable prisca theologia et
dans les "vieux théologiens" Zoroastre, Moïse, Hermès
Trismégiste, David, Orphée, Pythagore, Platon connaît
alors une immense vogue. S'affirme la certitude que l'on peut retrouver les révélations
primordiales de l'Egypte et de l'Asie et démontrer leur source unique.
Le pape Alexandre VI lui-même (1431-1503) fait peindre, au Vatican, une fresque pleine d'images et de symboles hermétiques, c'est-à-dire "égyptiens". Les intellectuels de la Renaissance, comme Alberti (1408-1472), sont fascinés par tout ce qui provient d'Égypte. Les hiéroglyphes, très prisés, s'offrent à une pluralité de sens, surtout un sens symbolique. Ce phénomène de rénovation résulte de l'insatisfaction produite par la scolastique et les conceptions médiévales de l'Humain et de l'Univers. Il est une réaction contre un christianisme purement occidental ; il est une aspiration à une religion "première", universaliste et transhistorique. " Ainsi, pour Marsile Ficin ou Pic de la Mirandole, l'alchimie est une sagesse antique (prisca theologia) à retrouver. Elle permet à l'homme de s'élever et de participer de l'Esprit divin. Emuler la Création est l'objectif prométhéen, voire démiurgique, de l'alchimiste. C'est une idée fondamentale pour l'Occident, à laquelle nous devons à la fois notre savoir technique et les menaces qui pèsent sur la planète, par suite de cette prise de contrôle de l'homme sur la nature. Et Marsile Ficin, enthousiaste, se fait l'un des premiers promoteurs de cette idée alors neuve. " (Mircea Eliade, Histoire des croyances et des idées religieuses, Tome 3, pp.262sq) La
philosophie de la Renaissance redécouvre donc Platon dont la pensée
se prête, mieux que celle d'Aristote, à accompagner, voire à
remplacer, la foi chrétienne. "Christianisme des savants", le
néo-platonisme opposera à la théologie pure et dure et à
la scolastique un théisme plus rationnel où cohabiteront une théorie
de l'amour universel et de la beauté, et une confiance dans la puissance
de la raison mathématique déchiffreuse du cosmos dont le livre,
selon Galilée, est " écrit en caractères mathématiques
". Liée à la notion de mélancolie, la doctrine du génie saturnien sera définie pour la première fois par Marsile Ficin dans ses trois livres De Vita et appliquée non seulement au littérateur, mais aussi au génie politique, religieux et artistique, elle sera reprise ensuite par nombre d'écrivains et artistes de la Renaissance. Les uvres de Botticelli sont empreintes de cette tenace mélancolie.
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Proserpine,
figure centrale qui préside les différentes scènes du Printemps,
peut être considérée ici, à l'égal de sa mère
Cérès, la personnification de l'alchimie.
Le mythe de Perséphone peut être l'illustration anticipée
de la formule alchimique V.I.T.R.I.O.L. - Visita Interiora Terrae, Rectificandoque,
Invenies Occultum Lapidem. Parmi les traductions, retenons : Elle paraît porter sur ses vêtements les couleurs des quatre phases de l'uvre qu'elle supervise : le bleu foncé assimilé au noir (la calcination ; la nigredo ; la mort, par dissolution du Mercure et coagulation du Soufre : le mélange devient un fluide bleu-noir), le blanc (le lessivage ; l'albedo ; la purification), le jaune (la réduction ; la citrinitas ; la sublimation) et le rouge (l'incandescence ; la rubedo, la pierre au rouge ; l'union du Mercure et du Soufre qui marque la fin du Grand uvre). La flèche enflammée du personnage ailé représente le feu, agent du travail alchimique. Elle a pour cible, au centre de la triade, la jeune femme qui regarde Mercure. De l'union de Vénus et de Mercure (hiéros gamos) naît Harmonie, l'Hermaphrodite alchimique, l'Androgyne. Antoine-Joseph
Pernety, dit Dom Pernety, l'explique dans son Dictionnaire
mytho-hermétique de 1758 :
Claude-Gilbert Dubois écrit : à propos de l'alchimiste et l'historien de la Renaissance : " Or que découvre-t-il de lui sans le savoir, et que découvre-t-il à ses lecteurs modernes ? L'histoire de la matière ? L'histoire du monde ? Certainement pas. Il découvre la structuration de son psychisme en état de travail. Du magma originel des idées à l'édification méthodique d'une cohérence, en passant par les diverses opérations nécessaires à son développement : il rencontre le quatre ou l'exigence de totalité, il découvre le trois ou la démarche dialectique de l'esprit inventif, il rencontre l'alliance de l'animus et de l'anima, le sphinx dipien et les interdits structurants du Nom-du-Père. " (Isomorphisme de deux constructions imaginaires : le Grand uvre alchimique et la Grande uvre de Dieu dans Mots et règles, jeux et délires, p.221)
Pour
les Alchimistes, le " dragon " est le symbole
du mercure philosophal. C'est du sacrifice du dragon que provient le microcosme
de la Lapis Philosophorum ou Pierre Philosophale. Un seul dragon peut être représenté comme dans ce dessin, figure III des Douze Clefs de Sagesse de Basile Valentin, ouvrage publiée à Eisleben en 1599 : la Pierre Philosophale provient d'un uf contenant les trois substances formatrices : le ferment, le soufre et le mercure. planche de l'édition allemande de 1678 Le Dragon symbolise la Matière première. Deux petits cercles l'entourent l'un ses ailes, pour indiquer le Volatil, l'autre ses pattes pour indiquer le Fixe. Les trois serpents et le triangle représente les trois principes, le tout est renfermé dans l'uf des Philosophes.
Monstre chtonien tricéphale représentant le Mercure philosophique. Les trois têtes correspondent au soufre, au sel et au vif-argent (ou mercure) L'aspect affreux et difforme du dragon signifie que le chaos initial ou la materia prima (la matière première) n'a pas encore été soumise au "processus de purification".
Et sur Hermès Trismégiste : " Pour les hermétistes, ce dernier est essentiellement le Fils et le Christ. " Trismégiste ", figure centrale de l'alchimie, indique une triple nature et une triple action dans le temps. Il est le principe même du devenir, c'est-à-dire, selon l'hermétisme, de la sublimation de l'être. " (p. 347) ------------------------ Examinons
deux illustrations alchimiques : A
gauche : Mars en guerrier. Au centre : Mercure
tenant deux caducées. Il tend celui qu'il tient dans sa main gauche et
qui porte un aigle pour le donner à la " Vénus
des Philosophes ". La légende conte que Mars et Mercure ont
été les amants de Vénus, mariée à Vulcain,
le feu philosophique.
Le soleil-soufre, principe actif, et la lune-mercure, principe passif, s'unissent lors de la phase dite conjonction, au début du solve. La phase suivante est le coagula produisant la Pierre philosophale. Solve et coagula, séparer puis rassembler : telle est la maxime des Philosophes. Dans Le Printemps, regardons les oranges comme le Soleil, Proserpine comme la Lune et les dragons du caducée comme le dragon commun aux trois illustrations proposées. Les quatre éléments, chers à l'hermétisme et sources de vie, sont présents : la terre en pleine luxuriance, le feu des dragons et des oranges, l'air de Zéphyr et l'eau des nuages. ------------------------ Gilbert Durand (Les Structures anthropologiques de l'imaginaire, Dunod, 1969) conclura : " L'uvre alchimique a pour essentielle mission de revaloriser ce qui est dévalué ", aussi bien la materia prima que Simonetta et Julien morts. Sublimation alchimique, sublimation artistique, il s'agit du même processus. ------------------------
Les
illustrations de Splendor Solis : Un
site d'images :
Pour
lire les pages de ce site consacrées à l'alchimie :
dans La
Dame à la licorne
|
D'autres pistes...
1-
Alighieri Dante - La Divine Comédie. 2-
Giorgio Vasari -
Le Vite de' più eccellenti architetti, pittori et scultori italiani
da Cimabue insino a' tempi nostri, Fiorenza, Appresso Lorenzo Torrentino,
1550, 2 vol. ; ed. Gaetano Milanesi, III, 1878. 3- Ange Politicien - Stanze per la Giostra di Giuliano de Médicis ; Stances et Fable d'Orphée, introduction et traduction de Émilie Séris, texte établi par Francesco Bausi, édité par Francesco Bausi, Les Belles Lettres, Bibliothèque italienne, 2006. 4-
La Divine Comédie illustrée par Botticelli : 5-
Aldolfo Venturi
- "La Primavera nelle arti
rappresentative ", Nuova Antologio, 1892. Et Il Botticelli interprete
di Dante, Florence, Le Monier, 1921. 6- Hermann Ulmann - Sandro Botticelli, München, 1893. 7-
Aby Warburg pense que Botticelli a reçu d'un Médicis
la commande de perpétuer le souvenir de Simonetta dans un cadre symbolique.
D'où son apparition en nymphe. À l'appui de son opinion, il cite
les deux portraits peints par Botticelli présentés ci-dessus. A. Warburg, Sandro Botticellis "Geburt der Venus" und "Frühling": eine Untersuchung über die Vorstellungen von der Antike in der italienischen Frührenaissance, Hamburg-Leipzig, Voss, 1893; ed it. in A. N., La rinascita del paganesimo antico : contributi alla storia della cultura, a cura di G. Bing, Firenze, La Nuova Italia, 1966, pp. 1-58. 8-
Emil Jacobsen a perçu
une présence mortelle dans la partie droite du Printemps, zone la
moins fleurie et la plus sombre du tableau. 9- Ernst H. Gombrich, dans son article Mythologies de Botticelli. Une étude dans le symbolisme néo-platonicienne de son cercle ne voit dans Le Printemps et dans une moindre mesure, La Naissance de Vénus, qu'une mise en place du contenu des programmes d'enseignement néo-platonicien contenus dans les lettres de Marsile Ficin à Medici Lorenzo di Pierfrancesco, cousin de Laurent le Magnifique et mécène de Botticelli qui aurait peint la Venus Humanitas des platoniciens, pour lesquels la contemplation de la beauté donnait aux hommes une image de la perfection divine. E.H. Gombrich, Botticelli's Mythologies. A Study in the Neoplatonic Symbolism of his Circle, in "Journal of the Warburg and Courtauld Institutes", VIII, 1945, pp. 7-60 ; ed. rivista in E.H. G., Symbolic Images : Studies in the Art of the Renaissance, London, 1972, pp. 31-81; ed. it. E.H. G., Immagini simboliche. Studi sull'arte del Rinascimento, Torino, Einaudi, 1978, pp. 47-116. 10-
Edgar Wind évoque les "Métamorphoses
de l'Amour qui se déploient dans le jardin de Vénus" et pense
que le tableau dans son entier " exprime la dialectique néo-platonicienne
emanatio-conversio-remeatio, c'est-à-dire la "procession" dans
la descente de Zéphyr vers Flora, la "conversion" avec la danse
des Grâces, et la "remontée" dans la figure de Mercure.
" E. Wind, Pagan Mysteries in the Renaissance, London, Faber & Faber, 1958 ; II ed. London 1968. E. Wind, Pagan Mysteries in the Renaissance, 2ª ed. rivista e ampliata, London, Faber & Faber, 1968 (I ed. London 1958); ed. it. E.W, Misteri Pagani del Rinascimento, Milano, Adelphi, 1971 (II ed. Milano 1985). 11-
Marina Varouta - La Primavera de Botticelli,
Les interprétations de Ernst H. Gombrich et Edgar Wind, traduction
italienne : Ilaria Vitali, Francesco Brilli. 12- Erwin Panofsky a critiqué en 1960 certaines des propositions de Gombrich et réhabilité le lien entre Les Stances et Le Printemps. 13-
Lino Liste - Le tre Grazie : una chiave per dischiudere il giardino
della Primavera - Les Trois Grâces : une clé pour déverrouiller
le jardin du Printemps. 14-
Giancarlo Gianazza et Gian Franco Freguglia - Le reflet de Dante
dans Le Printemps de Botticelli. 15-
George Camamis - The Concept of Venus-Humanitas in Cervantes as
the Key to the Enigma of Botticelli's Primavera. 16-
Claudia Villa - Per una lettura della "Primavera". Mercurio
"retrogrado" e la Retorica nella bottega di Botticelli ( La Primavera
è una festa di nozze - Nozze di Mercurio e Filologia) - 1998. 17-
Le site en italien de Wikipédia
donne plusieurs interprétations : 18-
Bibliographie : site en italien 19-
Un site pour de superbes images et des détails impressionnants
:
20- une analyse du tableau Vénus et Mars
|
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dernière modification le 10 FEVRIER 2016